Reprenons le fil des bonnes habitudes, avec la version définitive et incontournable de Sandman, éditée chez Urban Comics. Voici le tome 5, qui contient, outre des épisodes de la série régulière, les quatre volets des Chasseurs de rêves, une mini de la fin des années 90. Nous y reviendrons plus bas. Pour le moment, concentrons nous sur Sandman proprement dit, et le célèbre numéro 50 (Ramadan) qui ouvre ce nouveau mastodonte. Il s'agit d'une réussite complète, évidente, couronnée de prix et unanimement couverte de louanges. Gaiman tente d'y présenter une version féerique de Bagdad, dans un esprit proche des contes des mille et une nuits, tout en écrivant une histoire totalement originale et inédite. Le récit plonge dans le merveilleux et l'iconographie classique, à base de tapis volants, palais somptueux, et riches décors et costumes, et il suit les craintes du Roi des rois Haroun Al-Rachid, qui pour ne pas que sa cité tombe un jour dans l'oubli et l'obsolescence, sollicite les faveurs du faiseur de rêves pour lui proposer un marché. Grande partie de la réussite de cet épisode est à mettre au crédit de P.Craig Russell, auteur d'une mise en page inspirée et fantasque, qui traduit à merveille le script de Gaiman, et édifie page après page une Badgad de légende et de magnificence qui restera gravée à jamais dans les esprits des lecteurs. Les couleurs de Lovern Kindzierski sont au diapason, et il est bien difficile de pointer le moindre défaut dans ce travail abouti et remarquable. Vient ensuite le cycle des récits de La fin des mondes. Pour simplifier, disons qu'un couple de collègues, à bord d'une voiture, à l'amorce de l'été, est étonnamment pris dans une tempête de neige, et que le véhicule quitte la route et percute un obstacle. Les deux victimes seront sauvés car hébergées dans une auberge fantasmagorique où s'entasse une faune des plus bigarrée, venue de toutes les dimensions. Là, et en attendant que cesse la colère des éléments, chacun intervient à tour de rôle pour raconter une histoire, qui contient parfois en elle-même d'autres petites histoires, créant de la sorte des récits-gigognes, se répondant en écho les unes à travers les autres. Chaque épisode est illustré par un artiste différend, et pas des moindres, puisque se succèdent Mike Allred, Michael Zulli, Shea Anton Pensa, et d'autres encore, alors que la partie située dans l'auberge est confiée intégralement à Brian Talbot. On y fera la connaissance du premier président adolescent des Etats-Unis, pénétrera dans l'étrange cité des morts, suivra un individu perdu dans les rêves d'une ville, sillonnera les mers avec une jeune fille désireuse de se faire passer pour un moussaillon viril, arpentant des trames qui oscillent entre la science-fiction, la fantasy, le récit initiatique, la fable et le conte moral. Une grande variété de thèmes et de tons, qui préfigure par endroits ce qui est sur le point d'advenir dans la série, les mois suivants. Il s'agit pour Gaiman d'un point de non retour. Avec cette suite d'épisodes, il place astucieusement et sans crier garde les indices et les jalons qui accompagneront sa grande oeuvre jusqu'à son terme. Ce que nous réaliserons dès le prochain volume (le sixième) qu'éditera Urban.
La seconde partie de ce volume est consacrée au Chasseurs de rêves, une histoire en quatre parties présentée à l'origine en 1998. Cette fois l'ambiance est nipponisante, avec les aventures d'un moine modeste, qui habite un temple tout simple, presque à flanc de montagne. Une existence bucolique et ordinaire, perturbée un jour par le pari de deux animaux, un blaireau et une renarde, de déloger le maître de maison par la ruse. Si leurs machinations échouent, la renarde finit par tomber amoureuse de l'homme dont elle voulait se jouer. Un amour si fort qu'elle n'hésitera pas, lorsque viendra le jour où elle apprendra qu'un complot est ourdie au détriment de l'objet de ses sentiments, à pénétrer dans le royaume des rêves pour tenter de sauver le moine de son coeur, autrement condamné. Ce récit, au départ en prose et illustré par les dessins de Yoshitaka Amano, a finalement été adapté en bande-dessinée par le déjà cité plus haut P.Craig Russell. Inutile donc de revenir sur le talent de story-teller, et de metteur en scène adroit et inventif de cet artiste, qui là encore offre une leçon magistral qui contribue grandement au succès du produit fini. Nous baignons dans un climat onirique avec des animaux qui parlent, une iconographie orientale qui nous rappelle la sagesse et la mesure propres à la philosophie asiatique, et qui se termine par un acte de cruauté inévitable, vengeance méritée et dramatique, comme issue inévitable d'une histoire d'amour aussi improbable que déchirante. Certaines planches s'inspirent beaucoup des estampes japonaises du XVII et XVIII mes siècles, et si nous retirions le texte et les didascalies de ces épisodes, ils n'en conserveraient pas moins une beauté romantique et tourmentée évidente. Un tome 5 riche en moments forts et de haute facture artistique, dans une édition toujours aussi irréprochable et agrémentée de bonus variés, qui font de la collection Vertigo Essentiels un must have pour les fans exigeants.
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