Dans Le viking qui voulait épouser la fille de soie, trois
maisons coexistent : celle suédoise de Säbjörn (mi-fermier,
mi-constructeur de bateaux) avec ses deux fils Svarte et Kåre que tout
oppose (et en particulier, l'affection paternelle), celle ukrainienne de
Chernek (marchand d'esclaves) avec son fils Radoslav et sa fillette
Milka et enfin celle du Storködrott (sombre personnage entouré de
dégénérés). Le tout est de comprendre les liens déjà établis ou en
sommeil entre elles trois !
L'époque choisie par Katarina Mazetti est celle du Xème siècle suédois, là où les Vikings furent prospères. Et cela tombe bien puisqu'on ne parle que d'eux ! Peuple de nomades commerçants, négociants de chair humaine (les esclavagistes) ou pirates (mercenaires), il laisse sur son sillage de nombreuses légendes. Après une recherche bibliographique importante auprès d'archéologues, Katarina Mazetti en a construite une de toutes pièces, tout en intégrant les éléments historiques, religieux, sociaux : j'ai d'ailleurs bien apprécié la postface où elle décrit en six feuilles, sa démarche, ses choix narratifs, ce qu'elle a voulu garder et nous guide vers d'autres ouvrages plus approfondis sur l'ère des Vikings.
Très vite, je fus perdue par les prénoms des personnages très éloignés de mon lexique habituel français. Aussi, j'ai procédé comme avec Charlotte : arrêt momentané de la lecture, repos du cerveau, puis reprise. Si j'ai trouvé le début un peu long à s'installer, j'ai avalé la seconde partie avec faim et enthousiasme.
Le viking qui voulait épouser la fille de soie est un roman qui m'a fait du bien. Il m'a sorti des carcans nombrilistes de certains écrivains français contemporains, il m'a emmené vers un autre rivage (la Baltique) : j'ai retrouvé le même bonheur de lecture quand adolescente, j'absorbais la série celte de Marion Bradley Zimmer dont les deux premiers tomes furent Les dames du lac et Les brumes d'Avalon.
images captées sur le site Libfly.com
Katarina Mazetti a fait le choix d'un tome : il est raisonnable, réaliste et complet. Avec une prose naturelle et sans superflus, elle dégage des personnalités complexes et intéressantes.
Elle reprend le mythe d'Abel et Caïn avec Svarte et Kåre (sans le sacrifice humain) bousculés tous deux par un père malheureux de l'abandon de sa femme et qui voue son amour exclusif à son cadet, celui qui lui ressemble tant. Elle modernise son intrigue par des liaisons homosexuelles assumées et rappelle combien l'ère chrétienne fut rétrograde concernant la cause féminine (réduite à la "côte" adamesque, au pêché originel, elle qui sous la période des Celtes ou des Vikings, fut l'égal de l'homme. Maîtresses de maison ou prêtresses, les femmes gagnaient une aura qu'elles ont depuis perdue lors des croisades catholiques, sous couvert d'un monde « plus libre » - sauf pour les païens ou hérétiques destinés au bûcher).
On le constate dans ce conte où cohabitent êtres libres et esclaves (hommes et femmes réunis). La notion de race humaine reste totalement absconse à l'époque (et donc maintenant). Du coup, tout est parfaitement homogène dans l'intrigue : distribution équilibrée des rôles entre femmes et hommes, êtres libres et esclaves (certains permutant de catégorie, pour faire avancer la philosophie).
pages 200-201
«
Nous les Normands, dit-il, nous devrions nous estimer trop bons pour
mêler notre sang avec des Mores et d'autres étrangers ! Si cela
continue, nous aurons bientôt l'air de trolls !» (...)
« Ce
sont là les paroles d'un homme qui est resté chez lui la plus grande
partie de sa vie ! (...) Tu penses que nous n'avons pas mêlé notre sang
avec d'autres populations auparavant ? les Normands ont voyagé aux
quatre vents et ils ont ramené des femmes esclaves avec qui ils ont
peuplé la terre ! Il paraît qu'en Islande, les femmes sont presque
toutes enlevées du pays des Iverni ! Et si nous ne l'avions pas fait, si
nous nous étions contentés de concevoir des enfants avec nos proches,
nous aurions sans doute tous été comme les enfants du Storködrott ! Des
crétins ! » ...
« Pense
à l'hydromel !... L'hydromel pur que tu fabriques uniquement avec du
miel et de l'eau. Il nous donne certes l'ivresse, mais il devient
tellement plus savoureux si tu y ajoutes des baies et des fruits, des
épices et ce genre d'aromates. Tu comprends ? »
Rien n'est tout rose chez les Vikings : les mariages sont parfois arrangés (question de survie), la violence règne (enlèvement de liberté sous coup de poker raté, sous menace du clan), engrossement des esclaves et revente des rejetons à leurs six ans.
Pourtant, j'ai constaté à quel point notre monde a souffert et souffre encore des trois monothéismes majeurs en France (les livres sacrés sont écrits par des hommes, pour des hommes, reléguant les femmes à des rôles subalternes. Ils montrent la première réalité insupportable : celle pour un homme de ne pas être totalement assuré sur sa filiation biologique).
Dans Le viking qui voulait épouser la fille de soie, tout le monde couche avec tout le monde, s'il en a envie (bon, les esclaves ont un droit de regard moindre sur leur corps que les êtres libres). L'enfant n'est plus relié au couple géniteur mais plutôt à celui ou à celle qui l'accepte. Les amours homosexuelles peuvent être sanctifiées, les divinités religieuses ne représentent pas toutes des mâles : c'est bien !
Traduction de Lena Grumbach
Éditions Gaïa
paru en janvier 2014
emprunté à la biblio (lu dans le cadre de mon prochain comité de lecture : merci à Miss I. pour cet excellent conseil)
autres avis : Papillon, Céleste, à propos de livres,