Nuit à Naples de Shchedrin
I – Nocturne
Dans ce lit de désastres, tu déposes tes armes pour ne retrouver que le bruit de ton souffle haletant. Tu n’es rien pour elle comme tu n’es rien pour personne.
Nous ne vivons plus de rapports que de contiguïté, et les mots anciens ne désignent que des réalités mortes.
Dans un lit tel un cercueil en déroute sur une mer boréale, tu glisses en involontaires reptations dans cette peau reptilienne qui suinte de tes angoisses les sanglots ataviques.
Tu fumes, une femme passe et onze mille chiens s’arrachent à tes reins… mais ton âme demeure seule, ton corps reste vide — et tu t’éteins.
Tu fermes la lampe et te glisses sous tes draps, et c’est la mort virtuelle qu’indéfiniment tu réitères, plus douloureuse de n’avoir de terme contrairement à celle, qui naturelle, te délivrera enfin.
Tu joues les tombeurs avec les cyberland babes, et de ton moi déréalisé se repaît la Machine. La Loi, le Fric, la Carte et ça clique : un ordre de simulacres qui jouent des rôles surannés. Et tu poursuis ta course vers le néant de rêves suggérés, homme aliéné que l’on tient aux abois par les sortilèges d’orgasmes informatisés.
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II – Jazz
Introït
Il désirait atteindre le son parfait, long trait bleuté que tracerait son esprit dans le ciel, une droite qui se perdrait indéfinie à l’horizon. Chaque jour il pratiquait dans la chambre de son hôtel, et la nuit donnait au public tout ce qu’il avait au ventre, son âme, un instant, tout accordé au Minuit qui ne sonne jamais ; mais il rentrait brisé, déçu, et recherchait en des nuits plus obscures le son parfait, ligne bleutée dont ses meilleures improvisations n’étaient que des calques maladroits.
III – In Memoriam
Artiste absolument improbable, il devinait l’arrière-pensée d’un dieu mélodique. Plus grand que ses prédécesseurs, il découvrait la voix de prophéties américaines et argumentait contre le néant dans la pénombre des cafés. Il savait la note qui ébranle l’univers et la jouait parfaitement, point d’ancrage, en pleine vacuité, de particules jusqu’alors fantomatiques. Son génie était si grand que jamais les hommes n’oublieront le son de sa trompette, une compagne magnifique que l’on appelait Maggy.
Notice biographique
Frédéric Gagnon a vécu dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal, Kingston et Chicoutimi. Il habite aujourd’hui Québec. Il a étudié, entre autres, la philosophie et la littérature. À ce jour, il a publié trois ouvrages, dont Nirvana Blues, paru, à l’automne 2009, aux Éditions de la Grenouille Bleue. Lire et écrire sont ses activités préférées, mais il apprécie également la bonne compagnie et la bonne musique.