un cambrioleur très bien accueilli

Publié le 04 mars 2015 par Dubruel

Ce soir-là,

Après un diner chez Claude Servat,

Nous restâmes seulement trois :

Le Poittevin, notre hôte et moi.

Nous étions gris.

Étendus sur des tapis,

Nous discourions

Quand soudain Servat

Se leva,

Décrocha de sa collection

Une tenue de hussard et s'en revêtit.

Après quoi, il contraignit

Le Poittevin à se costumer en grenadier

Et, moi, il me déguisa en cuirassier.

Tout à coup, Le Poittevin nous fit taire :

-" On a marché dans le belvédère. "

Servat s'écria :

-" Au voleur ! " Et il entonna :

Aux armes citoyens !

Puis il nous équipa un à un.

Pour moi, un sabre et un mousquet.

Pour Le Poittevin, un pistolet

Et Servat saisit une sorte de pétoire.

On ouvrit la porte du belvédère.

Notre armée entra sur le territoire.

-" Tenons un conseil de guerre ! "

Dit Servat qui se nomma général.

Il ordonna : -" Toi, les cuirassiers,

Tu vas couper la retraite à cet animal.

Toi, le grenadier,

Tu seras mon ordonnance. "

Le gros des troupes opéra une reconnaissance.

On fouilla un peu, sans voir l'ennemi.

Puis Servat regarda sous le lit.

Moi, j'ouvris l'armoire et reculai stupéfait :

Un homme me dévisageait.

Je refermai la porte aussitôt

Et la verrouillai à double tour de clé.

L'on tint conseil de nouveau :

Servat voulait tenir le voleur enfermé.

Le Poittevin parlait de l'affamer.

Je proposai de l'embrocher.

Servat dit : -" Je voudrais le voir. "

On ouvrit les deux battants de l'armoire.

Ce fut une bousculade effroyable,

Une lutte invraisemblable.

Il s'agissait d'un vieux bandit

À cheveux gris,

Crasseux et déguenillé.

Nous lui avons lié les mains, les pieds

Et nous l'avons assis sur une chaise.

Servat, tout pénétré d'ivresse,

Se tourna vers nous :

-" Nous allons le juger, voulez-vous ? "

Nous étions si gris que cette proposition

Nous parut d'importance.

Le Poittevin présentait la défense

Et moi, je soutenais l'accusation.

L'homme fut condamné à mort à l'unanimité.

Nous allions l'exécuter

Quand un scrupule se fit jour :

On ne meurt pas

Sans les secours de la religion.

Il fallait un prêtre et sa divine onction

J'objectais : -" Il est deux heures du matin.

Le curé doit dormir, ne croyez-vous pas ? "

-" Alors qu'il se confesse à Le Poittevin ! "

L'homme roulait des yeux épouvantés

Et s'exclama : -" Vous plaisantez ! "

De force, Servat

L'agenouilla.

Et simulant un baptême, il lui versa

Sur la tête

Un giclée de sainte anisette :

-" Maintenant, confesse tes péchés ! "

S'époumonant, le vieux gredin hurlait :

-" Au secours ! Au secours ! "

Afin de ne pas réveiller

La ville et la cour

On dut le bâillonner.

Il soufflait, suait, trépignait.

Servat a questionné :

-" Qu'allons-nous en faire, à la fin ! "

-" Avons-nous le droit de tuer ce bandit ? "

Demanda Le Poittevin.

Servat répondit

Gravement

Et plein de satisfaction

(Mais pas seulement) :

-" Oui, nous avons prononcé sa condamnation ! "

-" Non, mon cher, on ne fusille

Pas les civils. "

-" Alors, s'il ne mérite pas ce supplice.

On va le conduire au poste de police. "

Le vieux fut donc emmené au commissariat;

Mais là, nos farces étant bien connues,

L'inspecteur refusa de garder le paria.

Et nous voilà repartis avec le détenu.

Arrivés à notre garnison,

On dénoua ses liens.

On retira son bâillon :

-" Laissez-moi partir, nom d'un chien ! "

On lui offrit un verre de rhum

Et nous trinquâmes avec le bonhomme.

Comme le jour allait paraître

Cette canaille d'être

Se leva et dit d'un ton sentencieux :

-" Pardonnez-moi,

Mais ne serait-il pas judicieux,

Maintenant, que je rentre chez moi ?

Sachez aussi que je quitterai à regret

Votre aimable compagnie. "

Nous nous sentîmes frustrés.

On voulut le retenir. Mais nenni,

Il refusa. On lui serra la main

Et dans un ultime geste humain,

Je lui criais : -" Sous la porte cochère,

Le pavé est glissant. Méfiez-vous, mon cher ! "