À l’heure où vous lisez ces lignes, vous avez fait un choix. Vous avez choisi de nous lire, nous, parmi un nombre conséquent de contenus à votre disposition.
En effet – qui pourrait dire le contraire ? -, nous avons tous accès à beaucoup plus d’informations que de temps pour les lire. Et dans cette quantité astronomique, nous chercherions presque à aller vite, très vite. Parfois trop vite — la tentation est forte de partager sans même terminer la lecture, voire sans lire du tout. Quant aux contenus, d’ici quelques années, ils seront certainement écrits en quantité astronomique par des robots…
Alors, céderions-nous tous à la précipitation ? Non ! Car une brigade d’irréductibles résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et sur leur étendard est écrit « Slow ».
Le « slow », c’est quoi ?
Nous pourrions faire remonter le mouvement du « slow » au début des années 80, avec la massification des fast-foods et les premiers partisans du « slow food ». Mais parce que nous n’avons pas vraiment le temps de remonter si loin, nous nous concentrerons aujourd’hui sur la « slow press », philosophie des médias qui se propage depuis la fin des années 2000.
Laisser le temps au temps, tel pourrait être le crédo des apôtres du slow. Pour ces professionnels de la plume, l’accent n’est plus à mettre sur la course au scoop. Les journalistes du slow se plaisent à parier que le lecteur ne donne que peu d’importance à qui publie en premier.
Au marché de l’information, peu importe qui est en tête pour se jeter sur les ingrédients. L’important reste de bien les cuisiner, en prenant le temps, et surtout de prendre soin de bien les assaisonner — la règle d’or de cette presse est de traiter un sujet de fond en comble, en donnant une valeur ajoutée au fond tout autant qu’à la forme.
Mais pourquoi font-ils ça ?
Puisque nous aimons bien les exemples, imaginez-vous en 1894. À cette époque, lire l’ensemble de l’information à votre portée se limitait à parcourir l’ensemble de la presse que vous pouviez trouver au kiosque de votre ville. Même si la corvée semble considérable, elle se bornait alors à une temporalité cadrée, et une fois les journaux terminés, la tâche l’était en même temps, et ce jusqu’à la fournée suivante.
© John Stutton
Aujourd’hui, imaginons un instant cette même occupation donnée à un internaute (oui, vous, derrière l’ordinateur). Après avoir fait le tour de tous les journaux gratuits disponibles en ligne, la matinée s’est enfuie et de nouveaux contenus ont déjà refait surface. Rajoutons à ce flux interminable la quantité d’informations qui s’entasse chaque jour sur les réseaux sociaux où vous êtes inscrits… et vous vous rendez compte de suite à quel point l’ouvrage est tout simplement interminable.
Ainsi, chaque jour, les internautes produisent un nombre colossal de contenus. Chaque internaute a à sa disposition une quantité d’informations supérieure à ce qu’il a le temps de traiter. Nous vivons à pleine puissance « l’économie de l’attention », théorisée par Herbert Simon en 1969. Une économie dans laquelle, au sein de l’abondance informationnelle, la ressource rare est devenue l’attention du lecteur.
Et dans la course à l’attention, certains misent sur la rapidité et la quantité. Le mouvement slow mise quant à lui sur la qualité du contenu. Une qualité qu’ils définissent selon 14 grands principes, à retrouver dans le manifeste du slow media (en anglais).
Comment le font-ils ?
Vous connaissez tous le vinyle. Vous savez, ce bel objet à la pochette imposante qui s’écoute chez soi, sur une sonorisation de qualité, et surtout du début à la fin ? Et bien le slow media est au journalisme « de flux » ce qu’une bibliothèque de vinyles est à iTunes : un oasis au milieu d’un océan de rapidité et de quantité, dans lequel il faut prendre le temps d’apprécier un thème de fond en comble, et dans lequel le zapping n’est pas la pratique de mise.
© University Libraries, Bowling Green State University via Flickr
Le slow, c’est une volonté de produire du contenu de qualité, de donner une vraie valeur ajoutée dans le fond comme dans la forme. Exit les copier-coller des dépêches AFP, on choisit un sujet pour le traiter de manière poussée, avec un certain recul et sans se précipiter sur l’information. Le tout avec une écriture qui donne envie d’être lue et des visuels qui donnent envie d’être vus.
Sur Internet ou sur papier ?
Même si le papier semble un terrain de jeu privilégié, permettant de ne pas être tenté par toutes les distractions que peut créer un écran d’ordinateur, le slow media n’est ni l’exclusivité du papier ni celui du web. La difficulté actuelle restant de trouver un modèle économique, quel que soit le support.
Sur papier, un mook (contraction de magazine et de book) sans publicité doit vendre 15.000 exemplaires en moyenne pour être rentable. Un chiffre assez important pour une édition qui se lance et qui ne bénéficierait pas de la notoriété d’un titre ayant pignon sur rue. Sur le web, il faut se démarquer pour recruter des abonnés, ou succomber à l’appel de la publicité.
Mais alors, vers qui devons-nous nous tourner ?
Quelques exemples, glanés de-ci de-là.
Parmi le slow media sur papier, vous pouvez retrouver la célèbre revue XXI, qui « ose l’inverse de pratiquement tout ce qui se fait dans la presse aujourd’hui » en pariant sur le long format. Également, votre kiosquier vend le 1hebdo, qui « traite chaque semaine d’une grande question », et d’une seule, dans « un journal résolument différent ». Plus récemment est sorti Flow magazine, le « magazine sans précipitation ».
Si vous êtes plutôt branchés web, vous pouvez retrouver Le Quatre heures, qui offre chaque mercredi, à 16h, « une information qui prend le temps, se déclinant sous forme de reportages grand format, multimédia, sans clic. » Une démarche vue comme « une pause dans l’information en continu qui domine le web. »
Le pure-player Ulyces vise lui aussi le long format, se plaçant comme une « maison d’édition numérique consacrée au journalisme narratif ». Enfin, si vous préférez que l’info vienne à vous, pensez à Brief.me, qui propose chaque jour à ses abonnés une newsletter offrant l’essentiel de l’actualité.
Ce ne sont pas les seuls, mais nous n’aurions ni le temps ni la place de tous les présenter. N’hésitez pas à partager avec nous vos slow medias favoris, et avec vos contacts cet article (si ce n’est pas déjà fait). S’il nous reste encore quelques secondes de votre temps, nous en profiterons pour vous remercier de votre attention.