D’étranges bêtes, des Aberrations, qui laissent derrière elles des cadavres d’animaux, ont fait leur apparition dans les forêts du Nord. Romane a quitté sa petite ville de Nive et son travail de serveuse pour gagner la capitale Aleenor, escortée de gardes royaux. On compte sur elle et sur son mystérieux Talent pour trouver une solution, tout ceci dans le plus grand secret bien sûr. Il faut dire que Romane a la particularité d’être liée avec un membre du Petit Peuple, phénomène inouï, et d’être un Talent qui plus est. Sous couvert d’un emploi de serveuse et d’un séjour chez son frère, elle hante donc la bibliothèque pour en apprendre plus sur ce qu’elle doit combattre. Mais ses recherches font l’objet d’une étroite surveillance, venant des plus hauts lieux du pouvoir. Romane le sent, elle n’est pas la bienvenue partout et il devient urgent pour elle d’en savoir plus sur les forces magiques avec lesquelles elle joue. L’occasion pour sa compagne danthienne Niña, de parfaire son apprentissage.
J’avais dévoré avec délice le premier tome de ce diptyque et c’est avec non moins de plaisir que j’ai retrouvé les personnages qui en font la saveur. Romane d’abord. Indépendante, forte, discrète et efficace, c’est une héroïne qui me plaît toujours autant. Nous la retrouvons dans un univers qui lui est complètement étranger: la ville, avec ses convenances, ses intrigues de cour, son raffinement. Bien loin de la simplicité de Nive, cet endroit est pourtant l’environnement naturel de ses compagnons, qu’il s’agisse du poète Oedun, toujours disposé à la satisfaire (y compris au lit) ou d’Arthus de Montay le garde royal qui la trouble tant et qu’elle a déjà sauvé d’une attaque des Aberrations. On doit y assumer une image publique, y participer à des réceptions, y montrer du respect pour les plus nobles personnages du royaume. Loin de chez elle, Romane révèle donc des faiblesses, des fragilités contre lesquelles elle lutte : étrangère, mystérieuse, dotée d’un pouvoir envié et craint, elle dérange, et on ne se gêne pas pour lui supposer des moeurs un peu trop légères. La grande dignité avec laquelle elle gère cela confirme mon affection pour ce personnage.
Mais j’ai tout autant apprécié les personnage secondaires. Evidemment, mon côté midinette a adoré les deux hommes de la vie de Romane, qui renouvèlent adroitement un triangle amoureux amer et bancal. La relation très complice entre Romane et Arthus m’a séduite: ils ont à la fois tout à faire ensemble et rien, mais leur affection mutuelle doublée d’un grand respect est réellement touchante. J’ai retrouvé avec plaisir aussi Tristan, le frère un peu trop sévère et boudeur de Romane. Nous découvrons également la famille d’Arthus de Montay, avec ses affections fusionnelles et ses déchirements. J’ai tout particulièrement aimé son père, un vieillard qui se fait passer pour sénile pour avoir enfin la paix dans ses serres. Mais mon grand préféré reste Oedun, le poète fantaisiste à qui l’intrigue réserve une place de choix, bien moins superficielle que prévue et dont l’évolution est saisissante!
Alors que le précédent tome fonctionnait surtout sur l’ambiance et le mystère, celui-ci nous plonge au coeur de la mythologie de Romane. Les interventions du Petit Peuple se multiplient et ils ne sont pas toujours bienveillants: capricieuses, amorales, les fées, lutins et autres créatures n’hésitent pas à utiliser chantage et enlèvement pour parvenir à leurs fins, sans qu’on puisse réellement le leur reprocher tant ils semblent étrangers au monde des humains. Chacun chez soi, dirons-nous… Encore une fois, j’ai beaucoup aimé le traitement du surnaturel dans ce roman. On est loin de la magie politique toute-puissante qui fait de son utilisateur un élu. Clandestine, crainte, mal vue, elle a essentiellement pour but de séparer nettement les mondes magiques et humains, ne lésinant pas sur les moyens pour cela. Qu’elle se cache dans les recoins sombre du palais royal ou au fond des rivières, elle menace plus qu’elle ne sauve. Joli tour de force.
La note de Mélu: un coup de coeur!
On ne change pas une équipe qui gagne!
Un mot sur l’auteure: Cécile G. Cortès est une auteure française qui possède deux chats et deux cochons de compagnie. Vous pouvez la retrouver sur son blog, Plumes Sauvages. Quant à Romane, vous pouvez l’acheter pour moins de 5 euros sur Amazon et sur le site de l’auteur en format epub. D’autres de ses livres sur Ma Bouquinerie:
Mélu: Qu’est-ce qui t’a attiré dans le genre de la fantasy?
Cécile G. Cortes: Les boules de feu, les dragons et les mages sexy ! (oui, je sais, il n'y a rien de tout ça dans mes propres romans...).
Ce que j'aime par-dessus tout avec la fantasy, c'est le contexte "ouverture", l'imaginaire permet de... tout explorer. En théorie, du moins, parce qu'en pratique j'ai l'impression que ce genre s'est sclérosé dans ses propres clichés, qu'il n'arrive pas forcément à dépasser certaines limites.
Concernant l’envie d’écrire de la fantasy, je ne saurais trop te dire d'où vient Romane... de plusieurs influences, à mon avis. Le truc de départ, je crois que c'était quand même mon envie de mettre en scène un personnage féminin intéressant, qui ne fasse pas décoration, ne sert pas de moteur / prétexte / motivation aux personnages masculins, et possède une existence réelle, sans être la perfection incarnée, d'où l'idée d'une femme qui a quelques kilos en trop, aucune particularité marquante (du moins au départ), une bosseuse qui porte des responsabilités (ou va en hériter), vit aussi en dehors de son travail et n'a pas les deux pieds dans le même sabot... bref, une femme comme j'en croise tous les jours, mais dans un univers fantasy.
Mélu: Romane est une héroïne qui évolue dans une univers d’homme et pourtant, pas de romance dans ce livre. Pourquoi ce choix?
Cécile G. Cortes: La question qui tue. Je ne considérais pas que Romane évolue dans un monde d'hommes, pour commencer, car l'égalité homme-femme est acquise dans sa société... Sinon, pour l'absence de romance, c'est juste que ce qui lui arrive ne s'y prête pas, je pense. Puis pour être honnête, Romane n'est douée ni pour séduire, ni pour s'engager. Cependant, elle a d'autres qualités bien plus importantes. (j'y pense, en fait, si, il y a une romance dans le livre, mais elle concerne des personnages secondaires).
Mélu: Le thème de la couture revient très fréquemment dans le roman. Y a-t-il une raison?
Cécile G. Cortes: C'est de la faute de la Danthienne ! Quand tu as une telle lutine dans les personnages principaux, difficile d'y échapper...
J'avoue que je ne sais pas d'où sort cette histoire de « broderie », c'est venu comme ça... sans doute parce que ma muse préférait ce clin d’œil à une activité manuelle très concrète et fastidieuse plutôt que la résolution par quelques effets spéciaux « trop faciles ». Si les personnages bâclent leur travail, les conséquences peuvent être désastreuses ; ça a dû me plaire à moi aussi, inconsciemment. Il y a aussi le fait que je n'ai sans doute pas trouvé comme « rendre » à l'écrit leur action et c'est la seule chose qui me soit venue naturellement au moment d'écrire la scène.
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Un grand merci à Cécile pour ses réponses! Côté actu, elle vient de sortir La Pelote d'Epingle aux éditions du Chat Noir. Et Dans les pas de Romane est toujours disponible en numérique, au prix de 5 euros!