Apple a acheté un cahier de 12 pages dans le Vogue américain.
Qu’est-ce qu’un produit de luxe ? Un produit futile voire inutile, vendu cher dans un environnement ouaté. La formule est abrupte et les puristes vont me tomber sur le râble, néanmoins, la consommation d’un produit de luxe n’a de sens que lorsque l’essentiel est pourvu.
Pour autant, créer, produire et vendre un produit de luxe n’est pas à la portée de tout le monde. Le niveau d’exigence est très élevée et la porte d’entrée verrouillée pour une très grande majorité de marques. Pénétrer le « monde du luxe » se fait par cooptation invisible, par une capacité naturelle à en comprendre la culture, à en saisir la sensibilité atmosphérique, impalpable et pourtant si tangible.
Ces derniers jours, Apple « fait le buzz » avec l’arrivée imminente — trompetée depuis des semaines déjà !—, de sa montre connectée. Cet objet technologique n’a en soit pas grand intérêt, d’autres fabricants occupent déjà les linéaires avec plus ou moins de bonheur commercial tant son utilité fait débat : quel intérêt d’avoir au poignet une montre fourbie de fonctions que donnent déjà un smartphone, en moins ergonomique, en moins complet et en moins pratique ? Ces mêmes fabricants rivalisent alors en surenchères technologiques pour tenter de convaincre les geeks et les lambdas de compter leurs pas en marchant, leurs calories en mangeant, leurs spasmes érotiques et autres billevesées cardio-vasculaires.
Apple n’est absolument pas dans ce registre, comme d’habitude, la technologie n’est pas sa perspective majeure, elle disparaît dans l’usage et l’esthétique de tous ces produits, appuyée par une stratégie fondamentale : l’expérience de marque. A l’instar des marques de luxe, Apple vend des produits absolus dans leur fonction et leur design, et une expérience de marque que les clients vivent au quotidien et dans les Apple Store en particulier.
Dans mon dernier livre prémonitoire paru en janvier 2014, « Pour un autre marketing », je fais la démonstration de cette fabuleuse entreprise qui, en 15 ans est passé de 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires à 183 milliards aujourd’hui, avec une capitalisation boursière multipliée par 30 et jamais atteinte par aucune société au monde, plus, une montée en gamme sereine et maîtrisée jusqu’à devenir une marque de luxe… naturellement. « Si vous regardez bien, la plupart des succès obtenus du jour au lendemain, prennent beaucoup de temps », disait Steve Jobs. Une marque de luxe se construit sur un temps long et visionnaire, avec une base de produits qui ne souffrent pas la comparaison avec d’autres : une griffe de luxe doit s’épanouir seule dans un marché surabondant.
L’arrivée de l’Apple Watch est à cet égard le marqueur du développement futur de la firme à la pomme : un lancement calculé sans se presser, une campagne de communication codifiée à la façon des horlogers suisses ou des bijoutiers de la place Vendôme avec des publicités dans Vogue, bible du luxe planétaire, des avant-premières dans des lieux emblématiques comme Colette, incontournable bazar de la branchitude parigo-mondiale, une diffusion massive au compte goutte et un prix élevé. Apple ne vend pas une montre connectée, elle propose le nouvel objet iconique de ce début du XXIème siècle. Comme l’étaient hier le sac Kelly d’Hermès, la toile Monogram de Vuitton, les escarpins de Louboutin…