Jacques Darras publie deux livres, Blaise Pascal et moi dans la voie lactée dans la collection « Les Passeurs d’Inuits » au Castor Astral et La Transfiguration d’Anvers chez Arfuyen.
Prière à Blanc Nez
Plusieurs fois par année
Tu t’en vas à Blanc Nez
C’est ton pèlerinage
Pélerine ou en nage
Encore que plus souvent
Te soulève le vent
Qui descend le couloir
Entre Douvres et Calais
Vois comme les ferries couchés
Accélèrent leurs fumées
Cependant que statiques
Attendent les tankers
Que les feux verts d’Anvers
Leur libèrent l’entrée
De l’Escaut toi tu leur fais l’écho
Dans l’ordre des prières
Le visage tourné
Dans le sens Angleterre
Espérant que la craie
Des falaises s’écrira
Toute seule sur ton tableau
Prenant forme de vers
D’un poème spontané
Du ciel avec la mer
Des heures avec l’horloge
Sidérale lunaire
Toi frissonnant là-haut
À l’en-tête des nuées
Silhouette clairement
Dessinée sur la pierre
Car il suffit d’un socle
D’un autel stable devant
Le mouvement répété des prières
Que les vagues font avec
Le pli sur pli du temps
Pour être comme habillé
D’un surplis surplissant
Pour l’été pour l’hiver
Pour toujours à jamais
Jusqu’à l’infiniment infinie
Ouverture de la terre
L’horizon sans frontière avec l’eau
Jacques Darras, Blaise Pascal et moi dans la voie lactée, collection « Les Passeurs d’Inuits », Le Castor Astral, 2015, pp.13 et 14.
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Cette place [la Grand-Place de Bruxelles] est mon lieu poétique favori sur cette terre. Mon atelier. Mon temple. Mon ouvroir à ciel ouvert. J’y convoque par la pensée d’autres places coulonnières qui arrivent à tire d’aile. Depuis Gand et Jacques van Artevelde le révolté. Depuis Bruges la Sage, pas la morte, où résonnent les carillons de Guido Gezelle. Depuis Namur où l’ombre aphasique de Charles Baudelaire s’essaie à converser avec le fantôme d’Henri Michaux. Depuis Liège la socialiste où la Meuse passe outre tant de conversations vaines en direction d’une plus efficace Carolingie.
Ayant pris une fois pour toutes la mesure des bonnes dimensions qui, dans l’espace, font le confort de l’animal humain, je me les résume à moi-même sur une chaise du podium estival de la Rose Blanche, ou l’hiver, derrière une vitre de la Brouette, Het Kruiwagen. Parce que, autant vous le préciser tout de suite si vous ne l’aviez déjà compris, mes réflexions s’expriment sur cette Place en langue double. Je ne me considère pas habiter la Belgique, j’habite la Bilinguie. En quoi je suis assurément – autre certitude – le citoyen le plus privilégié au monde, ayant pouvoir de vivre dans une maison où les pièces vont par deux. Jamais dans une symétrie parfaite, bien heureusement, ce qui induirait une insupportable monotonie mais dans l’approximation des clochetons et des recoins.
Parce qu’en Bilinguie les termes ne se recouvrent jamais deux à deux à l’identique. Qu’ils dialoguent, qu’ils se poursuivent, qu’ils se traquent, qu’ils s’accouplent dans un jeu d’amour sans cesse renouvelé. Baroque, en somme ! Baroque, l’art démocratique en effet, s’il avait été bien compris. Au lieu de quoi nos Républiques – je pense à la Française – se voulurent monarchiques inconsciemment, allant puiser leurs symboles aux mêmes sources romaines que la royauté. De là tant d’interminablement ennuyeux effets d’idéale symétrie !
À Bruxelles, le baroque dit « J’affirme ce que je suis. » Exemple, Moi Maison des Bateliers, au bas de la Grand-Place, à deux pas de la rue Tète d’Or qui mène à la rue du Marché au Charbon, je suis représentante de ma Corporation sur cette Place et je le dis. Comment, ironisez-vous, de l’eau à Bruxelles ? Des rivières ? Parfaitement, je vous batellerai jusqu’à l’Escaut ou la Meuse, les deux routes sont au choix vers la Mer du Nord. Maintenant levez les yeux ! Voyez-vous cette barque de pierre au balcon du deuxième étage ? Baroque, bien sûr, puisque il suffit de subtiliser l’o de bar(o)que pour l’y faire naviguer ! Partout j’affiche et affirme ma profession.
Jacques Darras, La Transfiguration d’Anvers, Arfuyen, 2015, pp. 11 à 13.
Jacques Darras dans Poezibao :
biobibliographie, au lundi des Poètes, mai 07, A ciel ouvert, (par JL Despax), ext. 1, un article de Claude Guerre, ext. 2