Apprendre à accepter la séparation

Publié le 03 mars 2015 par Espritphyto

La rupture, ce n’est pas seulement cesser de vivre avec quelqu’un, c’est aussi interrompre un processus de vie dans lequel on était tous deux partie prenante et qui impliquait aussi des personnes et des lieux qu’on avait appris à aimer et auxquels on s’était attaché.

Une partie de soi-même qui disparaît

Les questions que se posent un amour défunt et la vie qui s’ensuit dépassent largement le cadre du seul investissement ou désinvestissement sentimental. Il s’agit là d’une remise en cause de toute une vie, de toute une manière de penser, de sentir, de réfléchir, en même temps que toute une manière de se situer en tant que personne, en tant que personnalité face au monde et face à la vie. Mais au-delà de tout, ce qui comptera, ce sera de cerner et d’intégrer à l’ensemble de notre vie cet héritage de passé qu’à constituer notre vie conjugale. Car lorsqu’on rompt, on ne rompt pas simplement avec une personne, on rompt avec un lieu, avec un style de vie, avec des rituels et des habitudes, avec un certain cercle familial, social et affectif. Avec des serments aussi, ou à tout le moins des promesses qu’on a pas tenues ou qui ont été trahies. La perte de repères est alors flagrante.

La culpabilité

 

Quiconque a vécu une séparation a ressenti ce sentiment étrange fait de culpabilité mêlée de honte. Même si on est celui ou celle qui a pris la décision de partir, on est habité par mille incertitudes, mille sentiments plus paradoxaux les uns que les autres.

  • Lorsqu’on est le « quitteur », quelle qu’ait été la pénibilité de la situation vécue avec l’autre, on se sent mal à l’idée d’avoir dû lui faire de la peine ou de l’avoir fait souffrir. De même se sent-on mal de la souffrance que nous ressentons infliger à nos enfants, en les privant de leur autre parent. Qui ne ressentirait pas cela ? En fait, ce qu’il faut voir, c’est que même si il n’est pas le plus heureux du monde, l’autre n’est pas non plus, à de très rare exception près, à l’agonie. Comme la nouveauté de la situation l’oblige à se prendre en main, il est poussé à l’action, ce qui le met en position d’acteur et non plus seulement de victime.
  • Lorsqu’on est le « quitté », c’est évidemment la blessure narcissique résultant de la séparation qui donnera le plus de fil à retordre. Que notre compagnon ou notre compagne soit partie pour une autre histoire d’amour est difficile à vivre, mais qu’il ou elle soit parti pour vivre seul car il ou elle ne peut plus nous supporter est encore plus difficile à admettre.

Le sentiment de culpabilité est un état affectif tout à fait normal. Il est là pour nous prévenir lorsque nous avons fait arbitrairement du tort à autrui ou qu’on s’est comporté de mauvaise façon. Toutefois, il peut aussi plus simplement s’exprimer lorsque nos actions nous engagent personnellement vis-à-vis des autres. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’on se sent coupable qu’on l’est réellement et sur toute la ligne.

Une perception erronée à propos du quitteur

L’une des souffrances les plus inattendues vient de l’idée qu’on se fait de la vie de l’autre lorsque c’est lui qui a mis fin à la relation. En effet, celle ou celui qui a été quitté imagine – la plupart du temps complètement à tort – que l’autre mène maintenant une existence débridée, jouissant de la vie et de la liberté retrouvée. La vérité est loin de correspondre à ce tableau. En fait, le quitteur souffre tout autant que le quitté de la situation, il se sent tout pareillement fragilisé par ces nouvelles données de vie qu’il doit apprivoiser. Cette fragilité est triple.

  • Sur le plan de la vie quotidienne, tout lui demande un effort. Se lever, aller travailler, s’occuper de la maison et, le cas échéant, des enfants. Mêmes les sorties, à quelques exceptions près, lui coûtent.
  • Sur le plan émotionnel, il est régulièrement envahi par des accès de tristesse lorsqu’il repense à l’échec de sa relation et que lui reviennent à l’esprit les années passées, les rencontres, les projets qui auraient dû encore être menés à bien.
  • Sur le plan de sa conscience, mille doutes l’assaillent au quotidien quant à la décision radicale qu’il a prise, surtout lorsque des enfants sont nés de cette union. Et paradoxalement, lorsqu’il s’agit d’un divorce, même s’il a envie d’en finir le plus vite possible, il tend bizarrement à freiner des quatre fers pour régler les aspects juridiques de la séparation.

Dans une séparation, il n’y a pas un gagnant et un perdant, il y a deux perdants, car chacun a apporté sa part de difficulté, de résistance, de résignation et d’incommunication. S’il veulent repartir du bon pied dans une nouvelle vie affective, les deux partenaires devront faire un travail sur eux-mêmes pour analyser les raisons de leur échec respectif.

Que remettre en question : tout ou une partie ?

S’attelant à cette analyse, certains vont remettre en question l’ensemble de leur existence, versant dans l’autoculpabilisation et l’autosacrifice les plus extrêmes. Même si on a eu des torts plutôt conséquents, il faudrait éviter d’exagérer le trait. Dans l’immense majorité des cas, qu’on ait été plutôt bourreau ou plutôt victime importe peu en fin de compte. Ce qu’il faudra essayer de bien voir, c’est que ni l’un ni l’autre n’a été capable, à un moment donné, de prendre des décisions qui s’imposaient pour rétablir le dialogue et les conditions élémentaires de respect, ou pour envisager de se faire aider par une tierce personne, un psy, par exemple. Essayez de distinguer les différents niveaux de problèmes, évitez de tout mettre dans le même sac. Même si tout semble avoir contribué à l’échec, votre relation et votre compagnon ou votre compagne est une chose, les difficultés avec les enfants ou avec la famille élargie  ou dans le travail en est une autre. Ne vous abîmez pas dans la culpabilité, ne vous anéantissez pas.

Dans une  personnalité, tout n’est pas bon à jeter. Même les personnalités les plus problématisés ont des côtés touchants, attachants, profonds, sincères. Généralement, il ne s’est seulement pas trouvé qu’elles rencontrent sur leur passage quelqu’un qui soit en mesure de les reconnaître ou de les accepter.

Une image de soi forcement dégradée

Quand on a été quitté, le sentiment général qui prédomine est, chez la femme, celui de la trahison, chez l’homme, celui de l’humiliation. Pour lancinants qu’ils soient, ces sentiments n’en sont pas moins naturels. Car, dans une rupture, au-delà de la trahison ou de l’humiliation, c’est l’image de soi de la personne dans son intégralité qui se trouve touchée et remise en cause. Ses attitudes, sa façon d’être et d’évoluer, ses goûts, ses penchants, ses habitudes, ses idées sur la vie, ses convictions, mais aussi son sentiment de sa propre valeur, son estime de soi, sa légitimité , tout s’en trouve bouleversé. C’est toute son image d’elle-même qui se trouve ainsi atteinte et cette impression persistera encore longtemps.

Une histoire qui s’arrête n’est pas pour autant une histoire terminée. Dans tous les cas, elle laisse de part et d’autre un goût d’inachevé qui fera obstacle à une nouvelle rencontre amoureuse plus que l’absence de potentiels partenaires autour de la personne.

La rupture est loin de constituer une simple formalité pour le quitteur. Un fin de relation, qu’elle qu’en soit la raison, n’est jamais anodine. Lorsqu’on a l’impression de laisser quelqu’un sur le bord de la route, on a vite fait de ressentir un sentiment pénible d’indignité, surtout lorsqu’on voit souffrir celui ou celle qu’en un autre temps on a aimé.

Rester bons amis, est-ce possible ?

Une rupture entraîne forcément des affects, c’est-à-dire des sentiments négatifs. Eux aussi sont importants pour que le travail de détachement émotionnel puisse avoir lieu. Cela signifie que pour faire le deuil de l’autre, on a besoin de lui en vouloir, de le détester. Pendant quelque temps, du moins. Certains aimeraient que les choses prennent une tournure moins dramatique : si l’on s’est aimé auparavant, pensent-ils, pourquoi faudrait-il se détester maintenant ? Ne peut-on pas rester bons amis ?

A mon avis, cet argument ne tient pas compte de la réalité. Il sert de paravent pour masquer la peur qu’on a de l’avenir ou pour atténuer la souffrance qu’on craint de ressentir ou de faire ressentir à l’autre. On ne peut tout simplement pas entretenir avec l’autre, au lendemain d’une rupture, le type de relation qu’on pourra avoir avec lui trois ou quatre ans plus tard. Il faut que le temps fasse son oeuvre, qu’il nous permette de tourner la page. Ce n’est qu’alors qu’on pourra envisager la relation sous d’autres auspices et, pourquoi pas, se découvrir une jolie complicité.

Source : « Revivre après une séparation » de Patrick Estrade – Psychologue et Psychothérapeute