d'après HISTOIRE VRAIE de Maupassant
J’avais vingt-six ans et vivais en garçon
Dans mon château de Villebon.
Quand on s’embête après le diner,
On a l’œil de tous les côtés.
Je tombais bientôt sur la jeune Margot,
La servante de mes voisins Rigaux.
J’allai demander
À son maître de me la céder
En échange d’une jument
Qu’il voulait m’acheter depuis deux ans.
Marché conclu. La petite vint au château.
Je menai ma jument chez les Rigaux.
Margot m’avoua un jour :-« J’attends un enfant. »
Je lui donnai un peu d’argent.
Mais si je la chassais…,
On se douterait.
Et si je la gardais, bientôt on verrait…
Et l’on pourrait penser…
J’allais donc prendre l’avis
De mon cousin Armand qui me dit :
-« Le fils de la mère Ramise
Vient de faire une bêtise.
Tu sais que la Ramise est une infâme :
Pour un écu, elle vendrait son âme.
Et son fils aussi est un sacré … ! »
J’allais la trouver. J’expliquais.
La Ramise me posa tout de go
La question suivante :
-« Qué qu’ vous lui donnerez, à vot’ servante ? »
-« Je lui donnerai en dot
Mon champ de Beauvoir. »
Le lendemain, le fils Ramise venait me voir.
Il avait en effet l’air d’un rude garnement.
Et nous voilà partis examiner le champ.
-« Ça vous va ? »
Il ricana :
-« J’ cré ben, une terre et un éfant !
Mais, à qui qu’ils iraient
Ces arpents si a mourrait ? »
-« Mais à vous, naturellement. »
C’était ce qu’il voulait savoir.
-« D’accord, Monsieur, au revoir. »
Par contre, j’eus des difficultés
Avec Margot. Elle sanglotait et répétait :
-« Les femmes, c’est bête
Une fois qu’elles ont l’amour en tête... »
Mais elle céda au bout d’un moment
Si je l’autorisais
À me rendre visite de temps en temps.
Je la conduisis à l’autel
Et offrais le déjeuner
À toute la noce.
Bref, je fis grandement les choses…
Et puis je suis parti en Touraine
Pour chasser jusqu’à Noël.
À mon retour, j’apprenais
Qu’elle était venue me demander
Plusieurs fois par semaine.
Deux heures après,
Elle arrivait au château…avec son petit.
Je remarquai qu’elle avait maigri.
Je lui demandais :
-« Es-tu heureuse avec ton époux ? »
-« J’ peux pas m’ passer d’ vous.
J’aime mieux mourir.
J’en peux pu ! »
Je la consolai comme je pus
Et allai la reconduire
Quand elle m’avoua que son mari la battait
Et que sa belle-mère la traitait
Pis qu’une traînée.
Le lendemain, elle revenait.
Elle me prit dans ses bras :
-« J’ n’ veux pas retourner là-bas. »
Cette histoire m’embêtait.
J’ai fui de nouveau,
Et longtemps, par lâcheté.
Quand je suis revenu au château,
Mon valet de chambre me dit :
-« Elle est venue tous les samedis ! »
Il y a trois semaines, Margot décédait.
Et son mari… héritait.