Au départ, il y a ce projet fou, celui de Richard Linklater, le réalisateur. Réunir une même équipe, pendant douze ans, pour raconter la vie d’un garçon, toujours joué par le même acteur, de ses sept ans à ses dix-neuf ans.
Douze ans, une belle bande d’acteurs et plus de deux heures et demies plus tard, il y a Boyhood, un petit bijou. L’enfance et l’adolescence d’un garçon, Mason (Ellar Coltrane), qui aurait pu être vous et moi, filmée avec une sincérité comme on en voit rarement. En tournant avec les mêmes personnes pendant douze ans, un mois par ans, Richard Linklater réinvente le rapport du cinéma au temps : habituellement surfait, réduit, concentré, le temps est ici étendu, exploité de la façon la plus authentique possible.
En quelques séquences, le cinéaste nous donne un aperçu de la vie de Mason entre sa famille un peu compliquée, l’école, les déménagements, les découvertes. Il ne se passe « pas grand chose », diraient certains, dans Boyhood : pas d’explosions, pas de suspense, pas de grandes découvertes. Mais plutôt la vie, banale et pourtant si riche, des petites choses : un camping avec des copains, un premier amour, un nouveau beau-père… Et ces moments sont, plus que les passages d’une année à l’autre -jamais indiqués à l’écran- les véritables marqueurs du temps qui passe.
A ces moments passerelles s’ajoutent des marqueurs plus traditionnels, mais toujours bien amené : là, un portable plus évolué, ici, une nouvelle mode vestimentaire. La vie de Mason est par ailleurs rythmés d’évènements plus grands, comme une élection présidentielle à soutenir Obama ou Kerry, ou le lancement d’un nouveau tome d’Harry Potter. Sans oublier la bande son, qui accentue les moments marquants de la vie de Mason au rythme d’Arcade Fire, Coldplay ou Cat Power. Tous ces détails ancrent le film dans le réel et rendent le récit cohérent.
Ils sont nombreux, les films qui parlent de la jeunesse. La force de celui-ci est dans ce rapport au temps. Il en donne une vision non exhaustive, mais celle d’un quotidien, parfois joyeux, parfois plus amer, entre les histoires de famille recomposée, l’exploration de l’amitié ou des sentiments amoureux, les soucis de tous les jours. Une vision universelle, finalement, à laquelle chacun peut s’identifier. Les gens, comme moi, qui sont de la même génération que le héros d’abord : tous reconnaîtront le tube de Britney Spears chanté par Samantha, ou les jeux auxquels vivent les personnages. Mais aussi les autres gens, tous ceux qui se reconnaîtront dans ce quotidien réaliste, doux-amer, fait de bons moments et de moins bons.
Ils sont nombreux, les films qui parlent de la jeunesse, mais ils sont peu à en parler aussi bien. On se laisse vite porter par cette tranche de vie, réponse parfaite au projet de Linklater. Chacun y retrouve l’écho de ses propres expériences, positives ou négatives. Chacun peut se retrouver dans les questionnements, les doutes, les choix de Mason et de sa famille. Certaines scènes sont particulièrement emblématiques de cet aspect : les discussions entre le héros et son père, le départ pour la fac face à une Patricia Arquette désemparée, le dialogue final dans un très beau trip.
Le long-métrage est d’ailleurs porté par un casting impeccable. Patricia Arquette et Ethan Hawske sont particulièrement impressionnants : au royaume du paraître, les voir évoluer, vieillir ainsi est un beau spectacle. Loreleil Linklater, l’interprète de Samantha, la grande soeur de Mason, apporte le contrepoids nécessaire à son petit frère de cinéma lorsque celui-ci manque d’énergie. Quant à Ellar Coltrane, c’est un pari gagné : il gagne en qualité de jeu et en authenticité en vieillissant. La photographie, très belle, apporte à l’ensemble une ambiance mélancolique mais lumineuse, toujours dans l’esprit doux-amer du film.
Filmé sur huit semaines et raconté en une heure et demie, cette jeunesse n’aurait pas eu le même impact. Avec le projet spectaculaire qui le fonde, Boyhood devient un film juste et sensible, sur le temps qui passe, sur les questionnements que l’on se pose, sur les grands évènements et les petits moments ; un film sur la vie en somme.
Sortie DVD le 22 février 2015