Je vis une mue personnelle profonde. Externe mais profonde. Visible. Impudiquement visible à qui me jette même un bref coup d'oeil. ELLE m'a décidé à me laisser pousser les poils des joues du menton et du cou. La barbe. 9 jours déjà que je ne me suis pas rasé en masse les poils du visage. Et plus le temps passe plus je réalise que dire stop à Gilette n'a rien d'anodin. Je ne peux plus penser à heure fixe au grand soir où je deviendrai Président de la République.
Le retour du franc fort. Les seventies. Du travail pour tous. Et le marathon interdit aux femmes. Quel beau programme.
Moi j'm'disais toujours en mon for glabre intérieur, c'est pénible de se couper les poils à H24, heureux soient les imberbes car le royaume du lit+10 minutes leur appartient.
J'avais tort.Le rituel du miroir matinal faisait sens avec mon moi profond. On ne lutte pas impunément pendant 34 ans (13+34=47) contre la nature sans vivre la jachère comme une forme d' abandon. De renoncement. Sans laisser foisonner le doute à la surface des cratères de ma peau. Une épidémie de pilosité terrassant Samson. Ou Dalida. La toison d'or. Le mythe d'une vie masculine. L' inutilité de toute action sur le terme long du berceau au tombeau. Faire, défaire. Se lever, se coucher. Se raser, laisser pousser. Marcher, courir. Derrière les 2h59 sur marathon pour mieux finir en EHPAD avant la rupture d'anévrisme. Vous saviez que certains marathoniens qui souffrent d'Alzheimer passent leur temps à déambuler dans les couloirs avant de tomber, là, comme ça, totalement exténués... avant de repartir ?
Je sais, ça va chercher loin mais prenez le temps de la réflexion et vous verrez comme moi que le poil en dit beaucoup plus sur l'homme que la couleur de son slip kangourou.
Se demander aussi si ma femme ne veut pas d'un autre moi avec celui qui se cache à la face du monde sous une forêt vierge de barbe. L'ultime épisode d'un feuilleton qui dure depuis 25 ans. Ce visage désormais trop anguleux qu'elle veut couvrir d'une pilosité foisonnante ne serait-il plus celui de l'être adoré auquel elle a juré fidélité devant Don Gigi à Campi Salentina dans les Pouilles le 14 août 1993 à 17h69 ?
Et ces collègues qui trouvent que la barbe m 'adoucit, qu'ont-ils donc à me dire qu'ils n'osaient pas me révéler jusqu'alors sur mon management ? Celui qui me trouve vieilli pense-t-il trop fort qu'il est temps que je m'en aille voir ailleurs si le travail y est plus vert ? celle qui me demande si j'ai perdu un pari se fout-elle ouvertement de ma gueule poilue ?
J'en viens même à craindre la perte de quelques minutes sur mon chrono du prochain semi-marathon de Rueil-Malmaison le 15 mars prochain...
Vraiment je ne pensais pas qu'un changement si minime entraînerait de si grands bouleversements.
Comme le dit Pop Fisher dans LE MEILLEUR, splendide roman de Robert Malamud, " J'aime les vaches, les moutons et les chèvres sans cornes - j'ai un faible pour les biquettes, mon papa portait la barbiche " .
A méditer pour conclure.
Prochain article : se laisser pousser le bouc pour un fonctionnaire, une solution à la crise des finances publiques ?