C’est d’abord une canne que l’on vit, du moins, le bout de la canne qui tâtait le sol timidement, comme pour s’assurer que le carrelage ne se déroberait point.
─ C’est pour mon mari, dit-elle, il m’accompagne partout…
La chaise restée libre, ou la canne me demandais-je l'espace d'un instant, avec une certaine envie de rire. L’ensemble de la salle lui adressa un sourire poli, puis replongea dans sa lecture, ou sa rêverie.
─ Il y a beaucoup de monde, savez-vous après qui je suis, clama-t-elle à la cantonade ?
─ Après moi, madame, lui murmurais-je.
─ C'est-à-dire la dernière, je suppose…
─ Je crains que ce soit cela, en effet, glissais-je avec un petit sourire.
─ À mon âge, c’est long d’attendre, le temps nous est compté !
Un homme d’un âge plus que certain entra sur la pointe des pieds et, prit place au côté de ma voisine. Il paraissait tout aussi usé que sa femme, si sec et rabougri, qu’il se repliait sur lui-même, comme s’il eût aimé disparaître.
─ Tu as été bien long, lui reprocha la dame. Ce n’est pourtant pas difficile de garer une automobile. Mais tu n’as jamais su prendre des décisions, contrairement à moi. Heureusement que je suis là, où en serais-tu sinon ?
─ Tu fatigues ces gens, prends donc une revue, marmonna le monsieur.
─ Pas du tout, tu ne comprends rien mon pauvre Gilbert mon voisin me faisait la conversation. Il me proposait de passer devant lui, n’est-il pas parfaitement courtois ce jeune homme ?
Ce n’est pas ainsi que je sentais la suite des événements, même aux prix du qualificatif de « jeune homme ».
─ Encore une castratrice de plus, lâcha d'un ton las un monsieur sans lever les yeux de son recueil de mots croisés…
Nous en fûmes quittes pour perdre notre tour, mais nous y avons gagné en tranquillité. Je gage fort que le petit mari de la dame aurait volontiers échanger sa place avec la nôtre !