Alors qu’en 1973 il restait des médias occidentaux pour s’émouvoir du
coup d’État perpétré au Chili, ceux d’aujourd’hui scandent à l’unisson :
“Président du Venezuela, laisse-toi te renverser ! C’est pour ton
bien ! Renonce à défendre le choix des électeurs ! Renonce à la loi, à
la Constitution. Si tu arrêtes un putschiste, nous dénoncerons la
répression au Venezuela !”. Le bulldozer des news, déjà bien rodé
pour créer le personnage Chavez, a été réactivé pour fabriquer le tyran
Maduro qui agite au loin un poing brutal pour mieux écraser des foules
fanatisées alors que la voix feutrée de l’opposition de droite ou du
porte-parole de la Maison Blanche, de face, en plan proche, s’étonne de
tant de violence.
Même lors du coup d’État manqué contre Chavez en 2002, jamais on
n’avait observé une telle intensité dans le bombardement médiatique pour
nous faire accepter la nécessité d’une intervention extérieure, ou d’un
coup d’État, sans attendre les élections.
C’est sans doute l’erreur historique, et suicidaire, de la gauche
européenne : ne pas avoir démocratisé la propriété des médias, avoir
laissé le service public mimétiser “l’information” des grands groupes
privés (1). Qu’arriverait-il au journaliste d’un grand média qui
parlerait des 40.000 conseils communaux et de conseils du pouvoir
citoyen qui apportent la matière grise de nombre de décisions
gouvernementales au Venezuela ?
Et le Maduro réel ? Celui que n’isolent pas les téléobjectifs de l’AFP et de Reuters ?
Le jeudi 26 février, lors de la création du nouveau Conseil des personnes handicapées et des personnes âgées (2),
il a approuvé les crédits pour octroyer 300 mille pensions de plus, ce
qui élève les bénéficiaires de ce droit à trois millions de
citoyen(ne)s. Il a confirmé l’octroi de 10.000 allocations de santé pour
mieux protéger les personnes âgées. Il a félicité les employés de la
nouvelle mission sociale “Foyers de la patrie” qui a visité en une fin de semaine 200 communautés populaires, soit 25 mille familles : “Cette méthodologie nous permet d’arriver directement jusqu’aux familles en évitant les mafias des intermédiaires”.
Avant d’entamer à travers le territoire un nouveau cycle de “gouvernement de rue”
(3) Maduro a rappelé l’idée centrale de sa politique : malgré la guerre
économique (4) et la chute des prix du pétrole, pas d’austérité mais
l’approfondissement d’un État social et participatif. “Comme le dit
le maire Rodriguez, on nous agresse parce que nous sommes un
gouvernement des pauvres. Il n’y a que dans le socialisme que les
ressources sont administrées en fonction de celui ou celle qui en a
besoin”. Pendant cette assemblée un gros dossier arrive aux mains
de Maduro. Anibal, affecté d’une incapacité de l’ouïe, un des
porte-paroles du nouveau conseil national, prend la parole en langage de
signes : “Nous sommes 120 porte-paroles venus des 24 états du pays, nous avons travaillé ensemble sur ces propositions”. “C’est
pour cela que j’ai créé les conseils de gouvernement populaire, pour
que le peuple prenne le pouvoir, pour qu’il assume le pouvoir politique,
pour qu’il se convertisse en peuple président” lui répond Maduro. (5)
Le samedi 28 février lors d’une mobilisation populaire contre l’ingérence des États-Unis (photos), le président a poursuivi : “The Wall Street Journal a écrit récemment que l’heure est venue de m’appeler tyran, je
réponds : je serais un tyran parce que je ne me laisse pas renverser ?
Et si je me laisse renverser, je serais un démocrate ? Le peuple devrait
permettre que s’installe un «gouvernement de transition», éliminant la
Constitution ? Je ne le permettrai pas et s’il le fallait je me battrai
dans la rue avec notre peuple et nos forces armées. Nous voulons
construire la paix, la stabilité la coexistence, la vie en commun. Que
ferait le président Obama si un coup d’État était organisé contre son
gouvernement ? Celui qui persiste dans ses activités terroristes,
putschistes, celui qui agit hors de la Constitution, sera arrêté pour
être jugé même si The Wall Street Journal ou le New York Times
m’appellent le tyran, ce n‘est pas la tyrannie, non, c’est tout
simplement la loi. »
Durant cette marche qui a parcouru les rues de Caracas, Maduro a signé un décret indemnisant 74 familles de victimes du “Caracazo”
(6) : en 1989, après deux jours d’émeutes populaires qui suivirent
l’application des mesures néo-libérales exigées par le FMI, le président
social-démocrate Carlos Andrés Pérez avait suspendu les garanties
constitutionnelles et avait envoyé l’armée “rétablir l’ordre”.
En 72 heures, 2000 à 3000 personnes furent assassinées.
Maduro a rappelé
que cette même austérité de choc fait partie du programme que la droite
vénézuélienne avait prévu d’appliquer en cas de succès du coup d’État
le 12 février 2015 (7). Jusqu’à l’élection de Hugo Chavez, aucun
gouvernement n’avait accepté de reconnaître les fosses communes, les
disparitions, et les tortures. Les 74 indemnisations décrétées par
Maduro s’ajoutent aux 596 accordées à d’autres familles par le
gouvernement bolivarien.
Dimanche 1 mars 2015. Le président Maduro rend hommage aux victimes du massacre du « Caracazo » du 27 février 1989.
Par ailleurs, le président a annoncé quatre mesures en réponse aux
sanctions imposées par les États-Unis en violation du Droit
international et dénoncées par l’ensemble des pays latino-américains
(8), ainsi qu’aux 168 déclarations officielles émises par
l’administration Obama contre le gouvernement bolivarien de 2014 à 2015 :
– L’entrée du territoire vénézuélien est interdite
aux fonctionnaires étasuniens complices d’actes terroristes, de
violations de droits de l’homme, de crimes de guerre. Parmi
ceux-ci l’ex-président George W. Bush, l’ex-vice-président Dick Cheney;
l’ex-directeur de la CIA George Tenet, notamment liés au massacre de
centaines de milliers d’irakiens sur la base du mensonge des “armes de
destruction massive” et à la création de centres de torture – prisons
secrètes en Europe, Abu Ghraib, Guantanamo, etc… «Interdit aussi
d’accorder des visas aux citoyens américains qui ont violé les droits
humains et ont bombardé des populations civiles « . La décision
concerne aussi les congressistes d’extrême droite Bob Menendez, Marco
Rubio, Ileana Ross-Lehtinen et Mario Diaz-Balart, proches du réseau
terroriste du cubain Posada Carriles qui vit actuellement aux USA sous
la protection des autorités.
– Adéquation du nombre de fonctionnaires de l’Ambassade des États-Unis à Caracas. Le
gouvernement étasunien y maintient plus de 100 employés alors que
seulement 17 fonctionnaires vénézuéliens sont autorisés à travailler à
l’ambassade vénézuélienne à Washington. La chancelière Delcy Rodriguez a
rappelé que cette faculté de demander l’équilibre du nombre échoit à
tout gouvernement en vertu de la Convention de Vienne.
– Réciprocité en matière de visas. “Les
citoyens vénézuéliens qui voyagent aux États-Unis doivent payer pour
obtenir un visa. A présent, pour rétablir l’égalité de traitement, les
étasuniens qui nous visitent, devront obtenir un visa et payer ce que
paye un Vénézuélien qui voyage aux États-Unis”.
– “Finies, les réunions des fonctionnaires étasuniens pour conspirer sur notre territoire”. Les responsables de l’ambassade étasunienne à Caracas ont été informés que dorénavant «toute réunion réalisée par eux au Venezuela devra être notifiée et approuvée par le gouvernement du Venezuela« , conformément aux articles 41 et 41.2 de la Convention de Vienne. Maduro a révélé : « nous
avons détecté et capturé certains étasuniens engagés dans des activités
secrètes, notamment d’espionnage, essayant de recruter des gens dans
les villages frontaliers avec la Colombie et sous influence
paramilitaire. Dans l’État du Táchira nous avons capturé un pilote
d’avion étasunien d’origine latino-américaine, avec toute sorte de
documents. Il est en train de faire des révélations”.
En concluant son discours, Maduro a réaffirmé son respect pour le
peuple étasunien ainsi que pour la communauté afro-américaine,
hispanique et caraïbe souvent victimes des violations de droits de
l’homme de la part de leur propre gouvernement, rappelant que ces
mesures ne sont pas prises contre eux, mais contre l’élite qui persiste à
s’ériger en policier mondial et à refuser de respecter le principe de
souveraineté.
Thierry Deronne
Caracas, 1er mars 2015
Notes :
(1) Cas récent d’une émission d’ARTE : http://vivavenezuela.over-blog.com/2015/02/le-venezuela-cartes-sur-table-l-humanite.html. En
Europe le gouvernement Tsipras montre la voie en rouvrant la télévision
publique fermée sur injonction de Bruxelles et en réembauchant tous ses
salariés pour que la population jouisse d’un “service public démocratique et pluriel”.
Toute révolution citoyenne devrait s’accompagner de la création d’un
vaste réseau de médias populaires pour que les citoyens disposent
réellement d’informations alternatives.
(2) Sur la nature de ces nouvelles instances de pouvoir citoyen, lire « Démocratisation de l’État, hausse des budgets sociaux : Nicolas Maduro met les bouchées doubles« , https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/12/31/democratisation-de-letat-hausse-des-budgets-sociaux-nicolas-maduro-met-les-bouchees-doubles/
(3) Sur le gouvernement de rue, lire « Nous t’écoutons Claudia« , https://venezuelainfos.wordpress.com/2013/05/06/nous-tecoutons-claudia/
(4) « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les files d’attente au Venezuela sans jamais oser le demander« , https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/02/07/tout-ce-que-vous-avez-toujours-voulu-savoir-sur-les-files-dattente-au-venezuela-sans-jamais-oser-le-demander/
(5) Voir le point (2) sur la démocratisation de l’État.
(6) « Comment la plupart des journalistes occidentaux ont cessé d’appuyer la démocratie en Amérique Latine », https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/03/16/comment-la-plupart-des-journalistes-occidentaux-ont-cesse-dappuyer-la-democratie-en-amerique-latine/
(7) Lire « L’«accord de transition »
Machado-Ledezma-Lopez : ce que révèle et ce qu’occulte le programme de
la droite vénézuélienne en cas de succès d’un coup d’Etat« , https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/02/22/laccord-de-transition-machado-ledezma-lopez-ce-que-revele-et-ce-quocculte-le-programme-de-la-droite-venezuelienne-en-cas-de-succes-dun-coup-detat/
(8) Lire « L’Amérique Latine serre les rangs autour du Vénézuéla : les États-Unis isolés (avec déclaration intégrale du sommet de la CELAC)« , https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/02/05/lamerique-latine-serre-les-rangs-autour-du-venezuela-les-etats-unis-isoles-avec-declaration-integrale-du-sommet-de-la-celac/