Découvrir la Biennale de Venise dans son intégralité est toujours une gageure – comptez trois jours complets au minimum pour couvrir l’Arsenale, les Giardini et les pavillons répartis à travers la ville… mais il ne faudra pas trop traîner à l’apéro de midi et garder les Spritz et autres Bellini pour la fin de journée! Sur ces réflexions toutes pragmatiques, pourquoi ne pas anticiper en allant découvrir un avant goût de ce que nous réservera le pavillon belge cette année ? Je vous propose donc une petite virée à la Kunsthalle de Bâle. D’ailleurs, cette visite n’exclut pas un passage par l’événement 2015 à la Fondation Beyeler, si le cœur vous dit de vous lancer dans le bain de foule de l’exposition Gauguin. À une à deux générations d’écart, nous sommes dans les deux cas en plein « exotisme critique »!.
Revenons donc à la Kunsthalle qui nous présente le travail de Vincent Meessen, artiste originaire de Charleroi, né à Baltimore en 1971, qui aujourd’hui vit et travaille à Bruxelles et qui représentera la Belgique à la 56e Biennale de Venise. Le travail de Meessen dialogue avec les œuvres des années 1930 d’un artiste congolais, Thela Tendu, peu connu mais qui attira l’attention à cette même époque, lorsqu’il fut exposé à Bruxelles, Genève, Paris et Rome. L’exposition est une réussite esthétique et artistique parfaite : d’une salle à l’autre, l’écho des motifs entre les deux artistes, la justesse de la réflexion de Meessen dans le contexte de notre monde globalisé, l’accrochage, la lumière, le tout dans une grande et très efficace simplicité concourent à une expérience de visite de pur bonheur − et je vous le promets, pas seulement pour les initiés.
Le parcours débute là où la recherche de Meessen a commencé: avec les travaux du psychologue français André Ombrane (1898-1958) au Congo belge. L’artiste est tombé au Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren (Bruxelles) sur des films réalisés lors des tests effectués par le psychologue auprès des indigènes pour définir leur degré de compréhension − enfin ça, c’est la formulation édulcorée de « tests pour déterminer le niveau d’intelligence du peuple noir » − de l’abstraction géométrique. C’est ainsi qu’il en vient à s’interroger sur la conception eurocentrique de modernité, s’intéressant au rôle de l’abstraction dans son développement et à son impact sur l’histoire coloniale. On s’étonne vite de notre ethnocentrisme européen persistant en constatant dans les travaux de Thela Tendu le développement d’un langage abstrait parallèle mais totalement indépendant de celui qui s’expose alors en Europe − et qui a dû chercher pour éclore hors de ses propres frontières culturelles. On s’interroge aussi bien vite sur la question de la signature et de l’auteur d’une œuvre, car Thela Tendu c’est aussi Djilatendo et 40 autres déclinaisons.
Le travail de Meessen est à la fois théorique et documentaire, néo-conceptuel ; sa pratique artistique fait souvent appel à des collaborations, et dans cette exposition bâloise, il fait à la fois figure d’artiste et de commissaire de la plus grande présentation à ce jour des œuvres géométriques de Tendu. Si la question postcoloniale est centrale dans son travail, elle dépasse cependant une vision culturelle purement nationale, car elle participe d’un réexamen de l’histoire de notre société: n’y a-t-il vraiment qu’une seule et unique version de l’histoire, tandis que le regard critique à postériori et la mise à jour de documents oubliés tendent à l’infirmer.
Vous trouverez dans cette exposition bâloise un égal plaisir à la parcourir d’un regard purement d’esthète qu’à y lire les mécanismes de l’écriture de l’histoire, d’une histoire devrais-je dire, qui détermine notre réalité contemporaine –à voir en fonction de l’humeur du jour et de vos intérêts personnels. Pour tous, donc, je vous disais. Et nous ne manquerons à coup sûr pas le pavillon belge à la Biennale de Venise dès le 9 mai prochain.
– Carole Haensler Huguet
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Informations pratiques:
Vincent Meessen / Thela Tendu
jusqu’au 25.05.2015
Kunsthalle Basel , Steinenberg 7, 4051 Basel, Suisse