Kendji Girac s’est offusqué récemment de ne pas être nominé aux dernières Victoires de la musique. Plus gros vendeur de disques actuel, soutenu par certains médias, dont Touche pas à mon poste, le vainqueur de la troisième saison de The Voice pensait que sa requête était légitime. L’histoire a fait grand bruit, à tel point que le directeur des Victoires, Christophe Palatre, s’est senti obligé de rendre des comptes sur l’antenne de LCI. Il a alors avancé une raison un peu fumeuse et alambiquée pour éviter de sortir une vérité toute crue chère à Jean-Pierre Coffe : « Mais c’est de la merde ! ».
Si les plus gros cartons publics avaient été systématiquement primés, Licence 4, Jordi ou Lagaf auraient un joli presse-papier dans le coin de leur bureau et les Victoires ressembleraient au mariage de tonton Marcel ou au bal des pompiers de Trifouille-les-oies. Ce que Cyril Hanouna et ses trublions (qui me font plutôt marrer par ailleurs) ne comprennent pas est que vente de disques et qualité musicale ne font pas forcément bon ménage. Le succès des Kendji Girac, Black M ou M Pokora est à saluer, d’ailleurs le public s’en charge bien. Mais comment comparer ces champions des hit-parades qui débitent du tube au kilomètre dans un format mélodique assez similaire aux authentiques orfèvres de la chanson Française que sont Christine and the queens, François and the Atlas Mountain, Florent Marchet ou Fauve ? Il est vrai que quand on pense que The Voice est un référence musicale absolue, on a une vision un peu biaisée de ce que peut-être un artiste de haut niveau. Le choix du succès populaire n’est d’ailleurs pas toujours le plus difficile, surtout quand les chansons sont écrites par des « spécialistes » du bon gout de masse. Le phénomène n’est pas une particularité Française et s’applique même à des artistes de renommée planétaire : Coldplay n’a-t-il pas exploité le filon du tube récurrent alors que Radiohead lui avait fourni les outils pour le faire ? Dans les années 80, une éternité déjà, les punko-anarchistes de Bérurier noir s’était sabordé, entre autres raisons, pour ne pas galvauder cet esprit d’indépendance musicale qui n’aurait pas manqué de se déliter au vu de leur succès grandissant. On est maintenant bien loin de ces considérations libertaires tant les télé-crochets avariés se sont chargés d’uniformiser les sons, les voix et la pensée musicale.
Même si la soirée des Victoires est un interminable pensum, cela n’ôte rien à son but principal qui est de privilégier des artistes qui ont peu accès aux grands médias malgré un talent musical assez remarquable. Hormis dans ce genre de cérémonies où sont les Christine and the queens, Dominique A, Phoenix, Cascadeur, Woodkid, François and the Atlas Mountain… et j’en oublie bien d’autres ? Ils sont malheureusement aussi invisibles que la qualité musicale dans les chansons des vedettes chéries du grand public.