Annie Ernaux, je l’ai croisé souvent dans la bibliothèque de ma maman. Ce nom m’a marqué car ma maman lit plutôt de la littérature à l’eau de rose quand j’étais petite : les journées étaient longues, elle voulait se relaxer vite et bien, sans réfléchir, et il faut avouer que pour cela les Arlequins, ça marche plutôt bien. Mais ma maman aime aussi la « vraie » littérature même si elle ne l’avouait pas à l’époque : on tombait par hasard sur du Madame de Sévigné et des essais de sociologie entre deux livres de gare. Annie Ernaux joue donc pour moi l’effet d’une Madeleine de Proust m’évoquant le temps où, enfant, je fouinais dans la chambre de mes parents.
Et maintenant que j’ai quitté le nid, je me devais de lire enfin ce nom qui m’évoque tant. J’ai choisi pour commencer un tout petit livre, presque une nouvelle : Passion simple (beauté du titre, quand même!)
Annie Ernaux retrace dans ces quelques pages autobiographiques l’amour qu’elle a porté à un homme marié. Elle-même est alors mère célibataire et ses grands enfants ignorent tout de cette relation passionnelle. Cet homme est comme un marin ayant une femme dans chaque port, Annie le sait, mais elle s’en fiche, elle l’aime. Elle attend son coup de fil avec émotion et impatience, ne vit que pour cela. Sa propre existence est mise entre parenthèses pour les quelques nuits passées entre les bras de son amant.
Elle sait que sa dévotion est complète et peut-être incompréhensible, elle a conscience de l’extrêmisme de sa passion mais elle ne peut s’empêcher de la ressentir et de vivre pour elle.
Je dis « passion » car je ne peux pas dire « amour », ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Annie Ernaux nous raconte comme toute sa vie a pu se transformer au contact de cet homme : elle ne voulait plus vivre que des moments forts et qui valaient la peine d’être vécus, elle refusait d’effleurer les choses mais voulait s’y plonger toute entière. Ce livre est à la fois une ode à la folie de la passion mais aussi le cri d’un désespoir, de la peur d’être seule.
En quelques lignes, l’auteure arrive à nous embarquer dans ses émotions, à tel point qu’on pense les ressentir nous-même. C’est une écriture criante de vérité et de sincérité qui nous désarme et nous fait nous demander comment nous aurions réagi à sa place. Une histoire courte mais puissante.
Quand j’étais enfant, le luxe, c’était pour moi les manteaux de fourrure, les robes longues et les villas au bord de la mer. Plus tard, j’ai cru que c’était de mener une vie d’intellectuel. Il me semble maintenant que c’est aussi de pouvoir vivre une passion pour un homme ou une femme.
Annie Ernaux, Passion simple, folio (2545), au prix indécent de 6€40.