Dans le cadre de sa campagne électorale pour le Parlement étudiant,
la dernière réunion des Etudiants et jeunes internationalistes pour
l’égalité sociale (EJIES) de l’Université Humboldt a eu lieu le 19
janvier. Comme pour les réunions précédentes, environ 60 étudiants et
travailleurs sont venus à la réunion pour discuter d’un rapport sur le
rôle des universités comme centre idéologique du militarisme.
L’EJIES avait invité Ulrich Rippert, le président du Partei für
Soziale Gleichheit (PSG, Parti de l’Egalité Socialiste), à prendre la
parole. Il a commencé son discours par les mots: «Je tiens à vous
rappeler que, dans quelques jours le 27 janvier, ce sera le 70e
anniversaire de la libération d’Auschwitz. Lorsque les soldats de
l’armée rouge ont libéré le camp, ils ont été confrontés à une vision
horrible.»
Rippert a ensuite projeté un film documentaire, qui avait été filmé
peu après la libération du camp et a ensuite poursuivi, «J’étais âgé de
16 ans quand j’ai vu ce film. C’était dans l’école d’un syndicat. Je
n’étais pas étudiant comme beaucoup d’entre vous, et je ne l’ai pas non
plus été plus tard. J’étais apprenti dans une importante usine
industrielle, où j’ai travaillé plus tard comme mécanicien-ajusteur.»
«Quand j’ai vu ce documentaire, j’ai été profondément choqué», a dit
Rippert. «Ces images de bulldozers poussant des piles de corps dans des
fosses communes; ces personnes souffrant de malnutrition, affamées et
squelettiques. Le meurtre de masse a été organisé à l’échelle
industrielle. Des tas de cheveux de femmes et de chaussures pour enfants
pouvaient être vus. La peau était coupée sur les cadavres et utilisée
pour faire des abat-jours.»
Les crimes de guerre nazis n’avaient été commis que deux décennies
auparavant, a dit Rippert, en évoquant l’atmosphère politique à ce
moment-là, qu’il a décrit comme traumatisée. «Presque personne ne
parlait de ce qui était arrivé. Six millions de Juifs avaient été
assassinés dans les camps d’extermination nazis, des centaines de
milliers de Roms, de Sintis (Manouches), de prisonniers de guerre et
beaucoup d’autres, sans parler des plus de 50 millions de victimes de la
guerre dans le monde entier.»
En dépit de ces crimes immenses, la politique officielle a continué
comme si de rien n’était. Le gouvernement de Konrad Adenauer avait
déclaré 1945 année zéro et sans enquête majeure, avait annoncé la mise
en place d’un «nouveau commencement général». Mais sous la surface, tous
les anciens cercles nazis étaient actifs dans toutes les sections de la
société: en politique, dans le monde des affaires, la magistrature et
les universités.
Rippert a rappelé qui étaient les présidents allemands de
l’après-guerre et a souligné leur passé nazi. Theodor Heuss, qui a servi
comme chef de l’Etat de 1949 à 1959, n’était pas un nazi, mais comme
député parlementaire en mars 1933, il a voté la loi accordant à Hitler
les pouvoirs d’urgence. Il fut suivi par Heinrich Lübke (1959-69), qui a
étroitement collaboré avec les nazis, créant des esquisses pour des
plans de construction des camps de concentration. Walter Scheel, a été
membre du NSDAP (Parti nazi), et Karl Carstens a rejoint la SA (chemises
brunes) en 1934 et plus tard les nazis. Même Richard von Weizsäcker et
Roman Herzog avaient également des liens indirects mais étroits avec
d’anciens nazis.
Rippert a expliqué que l’on en savait beaucoup sur le passé nazi du
chef d’état-major d’Adenauer à la chancellerie, Hans Globke et sur le
rôle du chancelier allemand Kurt-Georg Kiesinger, mais seuls
quelques-uns savaient que le ministre allemand des affaires étrangères
Hans-Dietrich Genscher, qui a eu une carrière très longue à ce poste,
avait été membre du parti nazi.
Rippert a déclaré qu’il était membre d’une génération qui était très
intéressée par l’histoire. «Lorsque nous avons commencé à approfondir
l’histoire, la connexion entre le fascisme et le capitalisme est
rapidement devenu claire pour nous. Nous avons lu le discours de Hitler
au Club industriel de Düsseldorf. Nous connaissions la brochure écrite
par Fritz Thyssen en Angleterre, “J’ai payé Hitler”.
«Nous savions que Hitler avait été soutenu par l’industrie lourde et
les banques parce qu’il avait promis de détruire pour toujours le
mouvement ouvrier organisé. Nous savions aussi que la haine de Hitler
envers les Juifs était étroitement liée à sa haine des travailleurs.»
Rippert a dit qu’il était extrêmement alarmant que dans une
université telle que celle-ci des prises de position soient promues
telles que «Hitler n’était pas cruel», et que l’on tente de légitimer
des crimes nazis. Encore pire était le fait que la direction de
l’Université cherche à réprimer les critiques de ces positions. Cela
rappelait le rôle des universités en 1933.
Il a décrit la situation à l’époque, commentant, «Après que Hitler
ait été nommé chancelier du Reich, le 30 janvier 1933, par le Président
Paul von Hindenburg, le NSDAP a imposé, en l’espace de quelques mois, un
État centralisé sous la direction du Führer. Ils ont fait cela au moyen
de la terreur, des lois d’exception, de l’application de la conformité
politique et des interdictions des partis et des organisations.
L’incendie du Reichstag dans la nuit du 27 au 28 février 1933 a joué un
rôle important dans ce processus.»
La chose remarquable à propos des universités a été leur «conformité
auto-imposée», réalisée rapidement et avec obéissance. Il a cité un
sociologue de Giesen, Bruno W. Reimann, qui a abordé la question dans un
essai sur pourquoi les universités avaient aujourd’hui encore des
difficultés à parler de leur histoire de 1933 à 1945.
En réponse à la question de ce qui était à l’origine de ce problème,
Reimann a répondu: «Le respect pour elle-même des Universités serait
ébranlé s’il était montré que les établissements d’enseignement
supérieur n’avaient pas simplement été subordonnés par la force au
diktat nazi, mais qu’en 1933, il s’était beaucoup plus agi d’un
processus de conformité auto-imposé, c’est-à-dire un processus
d’adaptation volontaire à la machine de l’Etat nazi et à son pouvoir.»
Rippert a alors indiqué comment ce processus de conformité
auto-imposé est intervenu et le rôle éminent joué par l’Université de
Humboldt de Berlin (HU) qui, de 1828 à 1945, s’appelait Friedrich
Wilhelm University (FWU). Déjà à l’époque de la fondation du Reich
allemand sous Bismarck, en 1871, la FWU était considérée comme la
«première arène idéologique de la bataille». Au début de la Première
Guerre mondiale, des professeurs de l’Université ont été les auteurs du
tristement célèbre «Appel des intellectuels allemands aux nations
civilisées» dans lequel 93 scientifiques, artistes et personnalités du
monde littéraire ont soutenu les crimes des troupes allemandes en
Belgique et salués la guerre dans son ensemble comme une «lutte pour la
culture».
Une spécialité de la FWU/HU était sa recherche sur l’Europe orientale
et la rédaction du «Schéma directeur pour l’Est» [Generalplan Ost], qui
a servi de plan directeur pour les opérations militaires contre l’Union
soviétique. Contrairement aux affirmations de Ernst Nolte et de ses
partisans, la guerre contre la Pologne et l’Union soviétique n’était pas
une guerre défensive contre la violence des bolcheviks. Au lieu de
cela, le schéma directeur indique clairement que la germanisation de
l’Orient avait été préparée longtemps à l’avance.
Pour ses recherches sur l’Orient, l’agronome Konrad Meyer a reçu des
ressources financières quasi illimitées et une importante équipe de
collaborateurs scientifiques. Déjà, dans sa première version sur la
germanisation et la colonisation forcée de l’Ouest de la Pologne, le
plan prévoyait de se débarrasser de 560.000 Juifs et de 3,4 millions de
Polonais de la région de l’ouest de la Pologne.
Rippert a expliqué le rôle de l’Université Humboldt dans les années
1930 et aujourd’hui, en ce qui concerne les changements dans la
politique étrangère et le retour du militarisme.
Il a qualifié l’annonce du gouvernement allemand de la fin de la
précédente politique de retenue militaire comme un tournant historique.
C’était l’annonce d’une nouvelle ère de politique étrangère impérialiste
agressive. Comme dans les années 1930, les préparatifs de guerre
étaient liés à la constitution d’organisations d’extrême-droite
racistes. C’est dans ce contexte que le mouvement Pegida doit être
compris.
Rippert a indiqué comment cette campagne de droite avait été
encouragée par les médias, en traitant dans ce contexte de la campagne
internationale contre l’Islam, à la suite de l’attaque terroriste contre
les rédactions de Charlie Hebdoà Paris. «Sous le slogan “Je
suis Charlie”, des caricatures obscènes et insultantes anti-islamiques
sont distribuées, qui rappellent les tirades antisémites dans
l’hebdomadaire nazi Der Stürmer de Julius Schleicher», a déclaré Rippert.
Il a conclu, «Nous ne sommes pas intimidés par la politique de la
guerre ou l’encouragement des organisations d’extrême-droite racistes.
Nous nous basons sur la plus grande force sociale: la classe ouvrière
internationale, laquelle s’oppose avec véhémence au retour de la guerre
et du fascisme. La source de notre optimisme est notre compréhension de
l’histoire. Nous connaissons les enseignements politiques qui doivent
être tirés des grands combats et des tragédies du siècle dernier, et sur
cette base, nous construisons un parti international pour mobiliser la
classe ouvrière en appui à un programme international socialiste.»
Après le discours, une discussion intense s’est engagée qui s’est
ensuite poursuivie en plus petits groupes à l’issue de la réunion. Cela
comprenait une réponse d’un membre de l’EJIES à un défenseur de Charlie Hebdo:
«Ces caricatures anti-islamiques n’ont rien à voir avec la satire, mais
sont de la propagande raciste. La satire est toujours dirigée contre la
classe supérieure dirigeante fortunée, tandis que Charlie Hebdo se
moque de la religion et du désespoir de ceux qui ont été en permanence
attaqués et opprimés par les armées impérialistes. Cette propagande
anti-islamique s’inscrit dans la politique du militarisme impérialiste.»
Source : WSWS