Critique de Ivanov, vu le 27 février 2015 au Théâtre de l’Odéon
Avec Marcel Bozonnet, Christiane Cohendy, Victoire Du Bois, Ariel Garcia Valdès, Laurent Grévill, Marina Hands, Yannik Landrein, Roch Leibovici, Micha Lescot, Chantal Neuwirth, Nicolas Peduzzi, Dimitri Radochévitch, Fred Ulysse, Marie Vialle, et, en alternance, les musiciens Philippe Borecek (accordéon) – Philippe Arestan (violon) et Sven Riondet (accordéon) – Alain Petit (violon), et les invités Nikolitsa Angelakopoulou, Quentin Laugier, Missia Piccoli, Antoine Quintard, Victoria Sitjà, dans une mise en scène de Luc Bondy
Mais quelle distribution ! Allez, avouons-le, on a tous eu cette réaction devant les noms choisis avec discernement par Luc Bondy. Ce spectacle ne pouvait être que grandiose, au regard du thème de cette pièce, l’ennui, sujet entièrement maîtrisé par le grand Tchekhov, et des acteurs réunis par un metteur en scène qui a su faire ses preuves par le passé. Certes, il y avait ces Fausses Confidences qui m’avaient déçue, mais ce n’est qu’un bémol. Non, c’est certain, le spectacle serait grand, intense, prenant, inoubliable. Hélas…
Ivanov s’ennuie. Moi aussi. Il est mélancolique, il repense à avant, au temps où il aimait sa femme, où il parvenait à être heureux. Moi aussi ; je pense au temps où une proposition théâtrale était fondée, où les acteurs étaient dirigés. A présent, il ne ressent plus rien pour sa femme. Moi, je ne ressens rien lorsqu’elle exprime sa souffrance. Aujourd’hui, il vit sa vie sans émotion, attendant probablement une mort prochaine, qui viendrait le sauver de l’ennui. Aujourd’hui, je suis au théâtre et j’attends la mort d’un personnage sans aucune anxiété. Avec presque de l’impatience. Moi aussi je veux en finir au plus vite et sortir de cet enfer. Moi aussi, comme le personnage, je m’ennuie profondément. C’est bien : grâce au metteur en scène, j’ai pu me mettre dans la peau du personnage principal. Remarquez, c’est certainement un point de vue intéressant. Mais c’est plutôt ce que je recherche en lisant un roman. Ma vision du théâtre est bien différente : je cherche à m’échapper de mon réel, pas à m’y morfondre. Je cherche une trame dramatique, une tension, des sentiments. Et plus que tout, je fuis ce diable qu’est l’ennui.
Je ne comprends pas la proposition de Luc Bondy. On ne représente pas une pièce sur l’ennui par l’ennui, enfin, quelle absurdité ! Sinon, tout Tchekhov serait à mettre à la poubelle. Le personnage composé par Micha Lescot a pris les pires traits du personnage : cela fait de lui quelqu’un de vide. Il est apathique, monotone, morne. Il joue de son grand corps dégingandé avec précision, c’est vrai, mais quoi de plus ? Peut-être que si ce qui l’entourait était intéressant, j’aurais pu trouver la composition fidèle au personnage. Mais comme tout le reste est aussi morose que lui, on tombe bien vite dans l’ennui. Marina Hands, qui pourtant fait preuve d’une véritable présence sur le plateau, ne parvient pas à bien transmettre sa déchirure intérieure. On ne sent pas l’amour toujours flamboyant qui devrait la maintenir en vie. De même que pour Victoire Du Bois, qui ne joue que sur sa jeunesse. Il n’y a aucun lien émotionnel entre son personnage et celui d’Ivanov, alors même qu’elle lui jure un amour puissant. Moi, je ne l’ai pas vu cet amour. Je n’ai vu que des paroles et de l’indifférence.
Les acteurs ne jouent pas ensemble, j’ai même parfois l’impression qu’ils n’y croient pas. Ils semblent livrés à eux-même, marionnettes désarticulées sur ce grand plateau qui semble souvent bien vide. Même les scènes qui pourraient être comiques ne le sont pas. Peut-être le seraient-elles si la part déjà écoulée du spectacle ne nous avait pas totalement refroidis. La salle est froide, parfois quelques rires faibles se font entendre. Seule Chantal Neuwirth réussira à me faire sourire. Problème supplémentaire : je crois percevoir le micro des acteurs. Oui, plus de doute possible maintenant : dès que deux acteurs se touchent, on entend le micro grésiller. A-t-on réellement besoin de micro, aujourd’hui, au théâtre ? N’est-ce pas l’un des premiers apprentissages, que de porter la voix ? Mais où suis-je, enfin ? Les scènes sont étirées au possible, les acteurs parlent lentement, se déplacement lentement. Tout est lent et couvert d’ennui. Je crois que ça faisait longtemps que je n’avais pas autant souhaité la fin d’un spectacle. Quel gâchis…
Le mot d’ordre de la soirée sera donc : ennui, ennui, ennui.