Qu’on ne s’y trompe pas : bien que surfant sur une thématique similaire, le film de Maybury (produit par Clooney et Soderbergh) diffère singulièrement de celui avec Ashton Kutcher. D’abord parce qu’il évite des parti-pris « tendance » : Adrien Brody qui joue Starks, n’a rien d’un playboy : longiligne, effroyablement maigre, au visage émacié, il nous rappelle la performance de Christian Bale dans the Machinist, avec un jeu tout en crispations et douleurs et une voix effacée, comme constamment complexée. Face à lui, Kris Kristofferson, troublant, nous campe un personnage plutôt nuancé, entre savant fou et praticien désabusé, dont le regard enfoncé et sombre rejoint celui de son patient à la lisière de la démence.
Car le film gagne en substance en même temps que Starks avance sur la voie de la réhabilitation. D’impersonnel, froid, distant et presque clinique, le métrage devient plus humain et chaleureux au fur et à mesure que, sentant la fin approcher, l’homme se lance dans d’ultimes tentatives pour comprendre… et donner un sens à sa vie. Ce faisant, il emmène avec lui d’autres personnes qui le côtoient : le Dr. Lorenson (Jennifer Jason Leigh, méconnaissable et vulnérable), une femme en proie au doute mais qui se préoccupe de la santé de ses patients et Jackie (Keira Knightley, dont c'est l'un des rares films où elle s'est montrée convaincante à mes yeux), personnage-clef dans le passé - et l’avenir - de Jack.
Il est ainsi fascinant de voir comment ces moments pendant lesquels Starks « se projette » sont représentés avec des tons plus chauds, plus doux malgré la rigueur de l’hiver dans le Vermont, sous une neige qui semble éternelle et dont la blancheur évoque un linceul permanent. Peu de figurants traversent ce métrage claustrophobique, conférant par là même plus de valeur aux rapports humains ; on aura la surprise de trouver dans le rôle d'un autre patient, prétendant avoir tenté d'assassiner une trentaine de fois sa femme, un Daniel Craig complètement allumé. Et la fin, bien qu’attendue (espérée ?), relève davantage encore l’ensemble du film, jetant à bas cette distanciation obtuse qui pouvait gêner dans sa première moitié. Ce sont d’ailleurs les confrontations ou les discussions qui donnent son ton à l’œuvre et la font avancer, un ton monocorde au début, puis de plus en plus riche, gagnant en harmoniques en se mettant au diapason des autres. Les personnages y souffrent tous, parfois ouvertement comme Starks dans son tiroir ; parfois aussi moins ostensiblement, d’une manière plus silencieuse, sourde, lancinante, pour ceux qui sont seuls ou vivent sous le poids d’une culpabilité non assumée (comme le Dr Lorenson et cet enfant mutique qu'elle tente de soigner).
Partant, on peut en revanche être légèrement frustré par le refus d'explorer quelques pistes annexes, comme cette réplique de Starks au Dr Becker du futur : "Nous vous hantons tous." Les fantômes du futur ne seraient-ils que le reflet des erreurs du passé ? The Jacket prend le parti de ne s'intéresser qu'à un cas en particulier, qui interroge, celui d'un homme incompris, délaissé par la vie, mais qui aurait bien mérité d'en profiter un peu. La bande-originale signée Brian Eno achève de conférer un étrange pouvoir hypnotique au film.
Une œuvre qui mériterait sa place dans un coffret thématique, aux côtés de l’Effet papillon auquel il lui est parfois supérieur, tout en étant moins tape-à-l’œil et moins retors… quoique…
Titre original
The Jacket
Réalisation
John Maybury
Date de sortie
24 août 2005 avec ARP Sélection
Scénario
Massy Tadjedin & Marc Rocco
Distribution
Adrien Brody, Keira Knightley, Kris Kristofferson & Daniel Craig
Photographie
Peter Deming
Musique
Brian Eno
Support & durée
DVD TF1 (2013) zone 2 en 1.85:1 / 102 min
Synopsis : Un jeune soldat amnésique est accusé d'un meurtre dont il n'a pas souvenir. A l'hôpital, on le soumet à une expérience : enfermé dans un corset, il remonte le fil du temps, apprend la vérité sur son passé et découvre le futur qui pourrait être le sien s'il parvient à déjouer le présent : il ne lui reste que quatre jours à vivre...