Déferlante de nouvelles expositions du côté du Jeu de Paume, qui nous propose une fois de plus une programmation excellente et éclectique à découvrir sur place et hors les murs jusqu’au 17 mai 2015.
Florence Henri – Miroir des avant-gardes, 1927-1940
Composition Nature morte, 1929, Florence Henri © Galleria Martini & Ronchetti
Musicienne puis artiste-peintre, Florence Henri se tourne finalement vers la photographie en 1927, rencontrant un succès immédiat. Un changement de pratique qui intervient à un moment clé de sa carrière, alors qu’elle avait déjà fait basculer son œuvre de la figuration à l’abstraction ; c’est cette première expérience de déconstruction de l’image qui conditionnera toute sa pratique de la photographie. En effet, il n’est pas question pour elle de reproduire la réalité au moyen de son objectif, mais au contraire de composer un cliché de toute pièce, comme elle le ferait pour une toile. « Elle a une conception très mentale de la photographie » souligne Cristina Zelich, commissaire de l’exposition.
Lignes aiguisées, miroirs, reflets et même photomontages sont là pour servir le propos de Florence Henri, qui dissèque aussi bien les fleurs que les corps selon des formes géométriques, rectilignes et tranchantes. Les directions se confondent, les plans s’entrechoquent et nos repères se brouillent, c’est à partir de facettes en noir et blanc que l’observateur tente de reconstruire mentalement les éléments en présence. L’héritage du cubisme est bien là, et l’on comprend aisément que l’artiste a transposé sur le papier albuminé ce que ses contemporains réalisaient à l’époque en peinture, dessin ou sculpture. Élève de Kandinsky et de Paul Klee, amie des Delaunay ou de Léger, elle s’inscrit dans les recherches de son temps tout en innovant par sa technique.
On a particulièrement aimé : les textes de l’exposition, limités à quelques phrases claires et concises dans chaque salle.
Taryn Simon – Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure
Folder: Financial Panics, The Picture Collection, 2013 © 2014 Taryn Simon
Changement de registre avec Taryn Simon, dont le travail foncièrement contemporain s’éloigne bien des considérations plastiques de Florence Henri. Ami Barak, commissaire de l’exposition, a su décrire son œuvre en quelques mots : « Chez elle, la photographie n’est qu’une entame. Comme un fil à suivre, une porte qui s’entrouvre ».
Il est frappant de voir comment la photographie retrouve chez Taryn Simon sa vocation documentaire, dérivant même jusqu’à la discipline scientifique. Précédées de recherches précises et fastidieuses, les séries de l’artiste prennent la forme de compilation d’archives (« The Picture Collection », « A Living Man Declared Dead and Other Chapters ») ou de collectes statistiques (« Contraband »), toujours accompagnées de longs textes explicatifs. Les sujets sont dérangeants, mais les clichés en eux-mêmes assez peu parlants : on ne peut donc pas les dissocier de leur cartel, sans lesquels l’interprétation s’avère périlleuse ou incomplète.
Cependant, l’aspect physique n’est pas pour autant négligé dans ces projets : les immenses tirages de « The Innocents » en ultra haute résolution nous immergent à contre-courant dans des scènes sordides, la répétition infinie des cadres de « Contraband » sur les quatre murs d’une salle donne toute sa force à l’ensemble… Tout est soigneusement classé, organisé, ordonné avec froideur comme des éprouvettes dans un laboratoire. Le malaise et l’absurdité sont au rendez-vous, et l’on comprend bien que Taryn est de ces artistes qui aiment à mettre le doigt sur les dérèglements ou incohérences du monde, non sans une certaine ironie.
Vandy Rattana – Monologue
Et tant que vous y êtes, on vous conseille vivement la très belle vidéo de Vandy Rattana, Monologue. Si ce titre laisse présager de longues minutes d’ennui terrible, il n’en est rien : il s’agit en fait d’un message, ou plutôt d’une confession, lancée dans le vide par l’artiste à sa sœur qu’il n’a jamais connue, assassinée par les Khmers Rouges en 1978. Son corps repose dans un charnier non balisé auprès de 5000 autres dépouilles, nourrissant les racines de deux splendides manguiers, qui leur fournissent en échange un ombrage délicatement parfumé. Ni morbide, ni misérabiliste ou même documentaire, ce film est une plongée douce-amère dans la campagne cambodgienne et dans les plaies, encore ouvertes, qu’a laissées cette période sombre de l’histoire nationale.
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Jeu de Paume – Expositions jusqu’au 17 mai 2015
1, place de la Concorde Paris 8e
Le mardi de 11h à 21h, du mercredi au dimanche de 11h à 19h
Entrée : 10 € Tarif réduit : 7,50€
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