Cucumber (2015): l’audacieuse remise sur le marché

Publié le 27 février 2015 par Jfcd @enseriestv

Cucumber est une nouvelle série de huit épisodes diffusée depuis la fin janvier sur les ondes de Channel 4 en Angleterre. L’action se déroule à Manchester aux alentours du village gay de Canal Street alors que le couple formé de Lance (Cyril Nri) et d’Henry (Vincent Franklin) bat de l’aile. Dans un ultime effort pour recoller les morceaux, Lance demande Henry en mariage, lequel refuse et ils se retrouvent ensuite à la maison avec un inconnu pour un plan à trois. Les choses ne se déroulent pas comme prévu, la police débarque et Henry en profite pour prendre la poudre d’escampette et s’installer chez Dean (Fisayo Akinade) un ami beaucoup plus jeune que lui. Ces nouvelles vies leur apporteront son lot de surprises, c’est le moins que l’on puisse énoncer. Nouvelle création de Russell T. Davies (Queer as Folk), Cucumber est un genre de triptyque avec deux autres autres séries (Banana & Tofu; objet de la prochaine critique) divertissante à l’extrême, autant pour son scénario qui va de tous bords tous côtés que pour son audace qui n’a presque aucune limite.

La vraie crise de la quarantaine

Bien que Lance et Henry soient en couple depuis neuf ans, leur vie sexuelle n’a jamais été satisfaisante, si bien qu’une certaine frustration s’est installée petit à petit au sein du couple. Le soir où Lance invite un inconnu à partager le lit (non) conjugal, c’est le prétexte rêvé pour Henry de faire ses valises et partir. Installé chez Dean, il éprouve une forte attirance sexuelle envers son colocataire Freddie (Freddie Fox), un jeune bellâtre imbu de lui-même qui le méprise ouvertement. Mais Henry n’est pas au bout de ses peines puisqu’au travail, il vient d’être suspendu après qu’un de ses employés se soit suicidé. Et voilà que de surcroît, il se retrouve sur la paille après que Lance se soit approprié leurs économies communes. Pour ce dernier, les lendemains sont aussi incertains. D’une part, il ne croit pas au départ définitif d’Henry et d’autre part, c’est Daniel (James Murray), un collègue récemment divorcé et à la sexualité ambigüe qui occupe toutes ses pensées.

Plusieurs séries (hétérosexuelles) ces dernières saisons ont eu pour thème principal la remise en question du couple, notamment chez les gens dans la quarantaine. Dans Togetherness et Satisfaction, l’homme et la femme expérimentent davantage en solo et succombent même à des aventures extraconjugales, mais le noyau familial demeure intact pour toutes sortes de bonnes (et de moins bonnes) raisons. Dans Girlfriend’s Guide to Divorce, la protagoniste Abby est larguée par son mari et avec deux amies récemment divorcées, elles décident de s’offrir une seconde jeunesse.

Cucumber est un peu cet amalgame des trois, à la différence que la réconciliation entre Lance et Henry est peu probable. Et puisqu’on est davantage dans la comédie que dans un drame, on a droit à des échanges entre les deux pour le moins sulfureux. Consciemment ou non, la série met en lumière la difficulté de vieillir dans un milieu homosexuel où le culte du corps et de la jeunesse est omniprésent. Henry est conscient de son propre pathétisme, lui qui avoue à Freddie qu’il espère qu’un jour, le jeune adonis sera assez saoul, seul ou désespéré pour lui accorder ne serait-ce qu’une minute d’attention. En même temps, le scénario ne fait pas la part belle aux plus jeunes. En effet, la plupart d’entre eux sont superficiels, égoïstes et surtout beaucoup trop conscients du charme qu’ils dégagent si bien qu’ils en profitent effrontément. En fait, personne n’est totalement satisfait de son état et jamais dans la série de Davies (du moins dans les trois premiers épisodes) il n’y a de place pour le romantisme… du cynisme tout au plus.

Channel 4 où aller jusqu’au bout

En 1999, Channel 4 créait bouleversait le monde de la télévision en diffusant Queer as Folk, une série sur le quotidien de trois homosexuels de Manchester. Son cran avait eu des échos jusqu’aux États-Unis puisqu’un an plus tard, Showtime confiait à Russel T. Davies le soin d’en faire une adaptation qui durerait cinq ans. Enfin diront certains cette minorité sexuelle était représentée au petit écran avec des personnages gais au centre des intrigues et non secondaires à celles-ci. Avec les années, Channel 4 n’a rien perdu de sa verve et nous a offert des fictions audacieuses qui ont voyagé à travers le monde comme Skins ou Shameless et sans compter sa dernière de l’automne, Glue. Cucumber est loin d’être plus sage et la signalétique associée à tous les épisodes en témoigne : « G » pour « Parental Guidance » avec ces précisions : Strong language, very stron language, adult content, sexual scenes, strong sexual scenes, etc. Même les titres des trois séries ont une connotation sexuelle : Tofu, Banana et Cucumber appartiendraient à une échelle d’urologie caractérisant les différents types d’érection (de la plus molle à la plus dure…). Mais voilà, c’est la -exploration du désir sexuel qui est au cœur de la série et l’autocensure n’aurait pas été la bienvenue. Et au-delà de parties de jambes en l’air et de mises en situations chaotiquement hilarantes, on a au fond le portrait de deux hommes qui ont peur de vieillir et peur de passer à côté de la vie. Ils ont envie d’aventures, de jeunesse et justement, ils osent enfin jouer carte sur table. On peut admirer leur détermination, mais qui sait comment ça finira?

L’audience de Cucumber ne cesse de dégringoler. En effet, 1,2 million de téléspectateurs avaient été attirés par le premier épisode (ce qui n’a rien d’extraordinaire) et à la mi-saison il n’en restait que la moitié. Dès lors, plusieurs questions émergent. Est-ce que par exemple une série ayant pour personnages principaux des gays peut fédérer une audience solide et compétitive en heure de grande écoute et de surcroit, sur une chaîne publique? À titre de comparaison, Glue, une excellente série n’avait en fin de compte rassemblé qu’une moyenne de 300 000 téléspectateurs, mais il s’agissait de toute façon d’une histoire limitée à une saison. Jusqu’à quel point Channel 4 qui se targue d’offrir une contre-programmation peut-elle éviter la pression qui vient avec les cotes d’écoute? On l’a vu, sa récente comédie Catastrophe a été renouvelée alors qu’elle n’a rassemblé en moyenne que 600 000 téléspectateurs. Par contre, la série a été achetée par Amazon pour son catalogue en ligne, ce qui a sûrement motivé le diffuseur à poursuivre l’aventure. Est-ce là l’avenir des fictions dites « de niche »? En tous les cas, on prendrait bien une deuxième dose de concombres!