Claude Adelen publie L’Homme qui marche aux éditions Flammarion.
Risquer la disparition (2)
.on annonce un grain un fort coup
de vent sur la prose ou les vers
vite amenez toutes les voiles
les focs les perroquets adieu
à tout soleil et noms d’oiseaux
poussière blanche et noire écume
de mots flammèches de pétrels
célèbres albatros et mouettes
rieuses ça suffit pour la mer
pour l’espace pour le grand large
pour Moby Dick et pour les fleuves
impassibles ça suffit avec
ton bateau ivre avec toute
la clique toute la liste tes
voyages extraordinaires
les cartes les estampes l’onde
amère des vocables l’amer
savoir ses sirènes aphones
(aurai-je assez prêté l’oreille)
ses jason ses ulysse tous
un beau jour avec l’âge on en
est revenu ciels carrefours
de toutes saisons labyrinthes
de jours sous ciels dansants prairies
arbres-signes immobiles frères
de l’homme qui marche signets
du registre à quelle page ombres
chiennes silencieuses tournez
masses d’éclairs lents grands visages
d’ophélies les yeux aux nuages
autour de nous renverses d’îles
manèges d’horizon manigances
de l’espace tournez paons blancs
des borromées des lacs majeur
brisez (même si sept ans de
malheur) tous les miroirs le bel
canto le grand concerto à la
mémoire des livres et rideau
suffit les soleils opéras
éteignez tous les ors, les rouges
sang et meurtre théâtre on ferme
c’est fini on se tait on se
tait aux grands mots les grands remèdes
ménagez-moi des blancs partout
fermez la parenthèse mon
carnet d’échantillons pâlis
bazardez-moi ce catalogue
le manufrance des métaphores
toute la théorie des roses
jardins lilas citrons amers
quais aux fleurs on est las de vous
les ponts les palais les églises
les louvres les luxembourgs on
est las les feux rouges la foule
les drapeaux la colère plus rien
à voir je vous dis qu’il n’y a
plus rien à voir que mes chantiers
à l’abandon mes terrains vagues
mes engins immobilisés
le bulldozer en pleurs devant
le trou béant le buddleia
en fleurs “Interdit au public
Défense d’entrer” ma vie derrière
la palissade les affiches
lacérées les lambeaux qu’agite
le vent sourires bleuis gueules
décolorées des politiques
tous on regarde du dehors
on risque un œil pour voir par un
trou sa vie son domaine en friche
on s’attriste du désastre puis
change de trottoir il n’y a
je vous répète qu’il n’y a
plus rien à voir que vos bagnoles
Claude Adelen, L’Homme qui marche, Flammarion, 2015, pp. 190 à 192.
Claude Adelen dans Poezibao :
bio-bibliographie, extraits 1, ext. 2