" insécurité culturelle ", " malaise identitaire " : à qui profitent ces " concepts " pourris ?
" On peut voir ainsi la culture comme un vaste répertoire mémoriel, qui ne s'actualise qu'à travers des individus et dans des situations concrètes, dans d'incessantes renégociations et recréations. " (Régis Meyran et Valéry Rasplus, Les pièges de l'identité culturelle) Enfermer un objet, les " gens du peuple ", dans une catégorie, petite boîte bien pratique dont on peut cerner aisément les contours, qui seraient ceux d'une culture figée à jamais, (dont je crains de percevoir les " valeurs " dominantes...), voilà qui est peut-être bien commode, mais ne correspond en aucun cas à la réalité. Pour voir plus clair (sic) dans l'évidente complexité de l'étude rationnelle de tels sujets, inversons les termes. Culture technique, musicale, littéraire, psychologique, relationnelle, historique, religieuse ou athée, politique, médicale, biologique, agricole, botanique, etc.. ? Sécurité de quel type : matérielle, affective, psychologique, financière, relationnelle, professionnelle, autre ? On voit bien comment ces deux notions peuvent s'entrechoquer en s'auto-répondant en une infinité d'occurrences qui me semblent plus que difficiles à étudier dans un cadre restreint et objectif.... La culture à elle seule est une notion si difficile à étudier, et à cerner.... A mon sens, impossible à enfermer. C'est bien là le danger... On peut en effet craindre le pire, et s'imaginer qu'on fasse éventuellement référence à une perception de la culture (et de l'identité... nationale ? Et donc... de souche ? ) quelque peu étriquée, aux relents nationalistes qui se répandent actuellement un peu trop à mon goût dans la sphère médiatique et politique...Lorsque j'ai appris la sortie de ce bouquin de Laurent Bouvet en début d'année, voyant le titre, mon sang n'a fait qu'un tour et j'ai eu je l'avoue une réaction épidermique qui s'est traduite aussitôt par une prise de tête sur twitter avec son auteur, qui a de surcroît entretenu mon agacement, voir mon rejet par son attitude méprisante et hautaine à mon endroit. Comme si je sentais confusément un mépris de classe de la part d'une personnalité universitaire, milieu dont je sais trop bien pour l'avoir vécu de l'intérieur les réflexes en général (je connais quelques exceptions) assez basiquement béhavioristes de condescendance pour tout ce qui n'est pas estampillé par la faculté, et soucieux de défendre son petit pré carré de savoir spécifique. Normal, aujourd'hui, en période de pénurie, les idées, c'est de l'argent. C'est la loi de l'offre et de la demande, surtout dans une période où tout et n'importe quoi se monétise et se quantifie, y compris hélas à mon grand regret dans des domaines qui devraient de par leur nature échapper à cette logique capitaliste et libérale. Mais certains n'en ont cure, et tout leur est bon. Y compris parce qu'ils ont trouvé le bon filon de surfer sur des logiques malsaines qui aujourd'hui envahissent notre espace médiatique, donc politique, et personnel. Aussi, si j'ai réagi de si vilaine manière, irrationnelle, c'est que par delà ma connaissance subjective du milieu universitaire de " sciences " que je qualifierai volontairement, par provocation, de molles, exprès, ce pseudo-concept dont il s'agirait de définir plus précisément les contours, a réveillé en moi bien des réminiscences. Car j'ai un passé intellectuel, en effet, Monsieur Bouvet, ne vous en déplaise. Et des études transversales (ce que détestent précisément certains universitaires type qui veulent tout enfermer, pour mieux appréhender, et sérier) m'ont donné des bases solides à la fois en sociologie, en politique, et en économie. De plus, en autodidacte assumé et plutôt fier compte-tenu de mes origines (très) modestes, j'ai toujours eu la préoccupation de m'informer (moi aussi, j'ai lu Guilluy ¹), emporté par ma curiosité intellectuelle naturelle, sur les sujets les plus divers qui soudain surgissaient dans ma vie, et pouvaient éventuellement constituer des obstacles dans ma compréhension du monde. Surtout lorsqu'ils avaient des implications sur le terrain politique et médiatique.... et qu'ils pouvaient donc influencer - favorablement ou défavorablement - non seulement ceux qu'on appelle les décideurs, mais qui pouvaient également, aussi et surtout, avoir un impact sur les gens du peuple dont je suis, et vers qui mes préoccupations personnelles se portent. C'est le cas de cette notion d'insécurité culturelle que l'on ne peut guère selon les canons scientifiques en vigueur qualifier de concept puisqu'il n'est pas clairement défini, jusqu'à preuve du contraire... Ce que me confirment d'ailleurs bien des lectures, tout aussi référentes que l'ouvrage de Monsieur Bouvet. Et si j'ai réagi instinctivement si mal sur un réseau social en la découvrant, c'est qu'elle ne m'est pas inconnue, en ayant connu autrefois les avatars dans les " travaux " très orientés d'un groupe de recherche de triste mémoire pour tous les adversaires et combattants de l'extrême droite dont je suis : le GRECE. Et ce que ces gens ont fait de ces deux mots, l'insécurité, la culture, je ne m'en souviens et ne le sais que trop bien, pour avoir constaté au fil de ces dizaines d'années leurs effets pestilentiels se répandre depuis dans bien des réseaux, des mouvements (jusqu'à présent de droite plutôt dure...), mais, ce qui est encore plus désolant car susceptible bien davantage de conditionner les perceptions de masse, dans les médias, à des heures de grande écoute. Ce genre de notions, en effet, atterrissant dans des esprits qui, bien que brillants, sont de toute évidence personnellement troublés, voire peu équilibrés, comme Zemmour ou Finkielkraut (on connait en effet plutôt bien leurs obsessions...) pour les plus visibles par le commun des mortels, font en effet actuellement de gros dégâts dans la population française. Et ce n'est à mon sens pas un hasard si le front national, avec de tels discours, se développe, encouragé (comme s'il avait encore besoin de l'être compte-tenu des difficultés économiques et des phénomènes de précarité...) par ce genre de thèses imbéciles, comme celle du " grand remplacement ", de la colonisation de la France par des musulmans volontiers radicaux dans la tête de ces gens là... . Et face à ceux-ci, on trouve hélas bien peu de personnalités intellectuelles et médiatiques susceptibles d'en contrebalancer le poids terrible, ou du moins ne s'expriment-t-elles pas suffisamment s'il en existe.. J'en connais pourtant bien quelques unes qui gagneraient à s 'y exprimer davantage... si les décideurs médiatiques les laissaient le faire plus aisément, et régulièrement, compte-tenu de leur positionnement non ou anti-libéral, qui j'imagine irait probablement à l'encontre des intérêts financiers de ces chaînes. Si ces personnalités intellectuelles alternatives étaient aussi visibles et lisibles que ces deux tristes sires évoqués plus haut, la société française ne s'en porterait que mieux. [Entre parenthèses, c'est également le cas pour une autre discipline, l'économie, l'un des sujets universitaires les moins vulgarisés de France, dont nous avons pu constater avec un certain effarement comment une coterie d'économistes orthodoxes, c'est à dire exclusivement acquis aux thèses du néo-libéralisme, tentent de préserver leur pré-carré, quitte à utiliser l'intimidation et la menace, quand ce n'est pas purement et simplement la délation. Ce qui par là-même permet à tout un petit clan libéral orthodoxe médiatique de pseudo-experts de squatter sans guère de risques d'être contredits tous les plateaux de télé, pour des raisons que l'on connaît... ] Je regrette donc fortement qu'une personnalité dont le rôle n'est pas neutre, qui se revendique comme étant de gauche, et de surcroît fondateur d'une certaine gauche auto-qualifiée de populaire, vienne grossir le poids dans une balance qui se voit donc compte-tenu de la composition générale de la scène politico-médiatique actuelle particulièrement déséquilibrée. Et cela, ce n'est pas respecter le peuple, c'est le pervertir en le nourrissant intellectuellement de ce qui est plus difficilement entendable que le discours un peu trop consensuel actuellement, aggravé de surcroit par les terribles événements de ce début d'année, d'une menace qui laisse un peu trop de place justement, aux préjugés et aux obsessions imaginaires. Consolidés en l'espèce par des prétendus concepts si mal définis (Bouvet le relativise, mais pourtant, le reprend..), qui vont, encore et toujours dans le même sens. Pour résumer : les français se sentent mal parce qu'ils sont menacés par des étrangers dont la culture différente qui ferait injure à leur substrat de culture bien française ( de souche ?) les déstabiliseraient... Et ils voteraient donc Front National. Bêtise que cette réponse facile là. Non Monsieur, je m' élève contre. Pour plusieurs raisons que je vais tenter d'expliciter ici. Les français vont mal parce que les politiques ne sont plus en capacité de leur proposer un projet sociétal fort, consensuel, qui ne soit plus aussi strictement économique. Surtout quand il est encore et toujours sur cette même ligne qui ne leur fait plus guère distinguer de différence essentielle, ce modèle étant d'obédience libérale, et partagée à la fois par l'UMP et le PS, qui eux-seuls de surcroît s'échangent le pouvoir... ce qui leur fait entrevoir pour certains une issue politique dans le front national, alors qu'on le sait tous, c'est la plus mauvaise qui soit. Mais comme " la gauche " (où ce qu'elle est devenue dans notre pays...) ne les représentent plus, ou si mal.. Ils ne perçoivent plus de projet sociétal alternatif, et un peu plus consensuel, qui nous fasse mieux vivre ensemble, quelle que soit notre situation sur le sol français. Et c'est là peut-être où nos préoccupations se rejoignent. je ne doute pas malgré nos divergences politiques de votre sincérité lorsque vous appelez à un cadre de vues et de références communes, vers le mieux vivre ensemble, qui dépassent la seule obsession politique majoritaire un peu trop strictement économique, dans un cadre de références aux valeurs républicaines qui nous sont probablement communes, je l'espère. je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'une " unicité du dessein collectif " de la République, un projet et un bien communs... Mais là où je ne suis plus d'accord, c'est quand on commence à vouloir l'étendre à un " moi commun ", comme vous l'écrivez. Car cela, chez moi, se traduit par un sentiment nationaliste insupportable, dont je ne veux pas... Je suis d'accord avec vous également quant à ce propos concomitant qui illustre lui aussi la nécessité impérative d'un mieux vivre ensemble : " L'insécurité culturelle, et le populisme contemporain qui prend partout appui sur elle, ne seront vaincus qu'à la condition que nous acceptions que ce qui nous est " commun " a plus de valeur que ce qui nous est propre, identitaire... " . D'accord sur l'essentiel. Mais l'emploi du mot populisme, par contre, je crois qu'on peut s'en dispenser pour les raisons que j'ai déjà évoquées ici, et que je récuse également, ayant une conception du peuple en effet un plus valorisante et respectueuse. J'estime en effet qu' on se consacre (pour des raisons purement électoralistes) un peu trop à cette frange de l'électorat pourtant si minoritaire qu'est celle qui vote FN. Une vision de la politique que je trouve particulièrement restrictive et inintéressante si l'on considère comme moi, vieil idéaliste qui se refuse à ce prétendu pragmatisme qui dissimule si bien une certaine idéologie, qu'elle doit changer le monde... Et qu'elle doit donc pour se faire proposer une analyse sociétale globale. Et donc, je pense qu' on ferait tout aussi bien de s'intéresser aux acteurs d'un autre " plus grand parti de France ", bien supérieur en proportion : l'abstention. Car ces personnes un peu trop exclues du débat parce qu'elles s'en excluent elles-mêmes méritent tout autant notre attention. Et à mon sens, si elles ne s'expriment pas ou plus, ce n'est pas tant qu'elles s'en moquent (quoique, certains si, vraiment, et je les comprends), mais également parce que pour l'instant, aucun parti quel qu'il soit (et j'y inclus ma propre famille politique) n'a été en mesure de leur proposer un projet politique qui sorte des sentiers battus et qui soit suffisamment audible, accessible, attrayant et consensuel. Pour le dire plus clairement, on ne fait pas rêver avec la réduction des déficits et les pactes de responsabilité, pas plus qu'avec une 6ème République, même si j'y adhère aussi... Mais qu'il me semble que ce projet, trop technique, ne parle pas à des personnes, et c'est aussi là une difficulté, totalement démotivées et dépolitisées. Et donc potentiellement victimes de bien des dérives, qu'elles soient sectaires, confusionnistes ou complotistes. Présentons leur un modèle sociétal humaniste dans lequel elles puissent s'identifier, se retrouver, qui les motive. C'est urgent.
¹ ... et entendu Valls sur l'utilisation du mot apartheid qui en découle si grossièrement. j'ai d'ailleurs adoré la réaction de Corcuff à propos de ce genre de thèses... jouissif).
Pour aller plus loin :Bien sûr, lire L'insécurité culturelle. Le malaise identitaire français (Laurent Bouvet, 2015). On peut également consulter ce lien, et voir où il nous mènera... Laurent Bouvet s'explique sur les critiques principales adressées à son livre.
Les dangers des identités fermées de l'air du temps néoconservateur de Philippe Corcuff, note analytique du livre de Régis Meyran et Valéry Rasplus, Les pièges de l'identité culturelle
Identités, la bombe à retardement - Jean-Claude KaufmannL'insécurité culturelle : usages et ambivalences, Notes critiques à propos du livre de Laurent Bouvet, par Klaus-Gerd Giesen
Il n'y a pas de guerre des identités L'insécurité culturelle ou les sept erreurs de Laurent Bouvet ... et pour plus de sources, consultez régulièrement le compte twitter dédié : InsécuritéCulturelle