Jorge Paulo Lemann a grandit à Rio de Janeiro où on le croyait plus destiné à une carrière sportive que financière. S’il passe plus de temps à surfer les immenses vagues brésiliennes et à jouer au tennis qu’à assister à ses cours, Lemann est tout de même élu « élève ayant le plus de chances de succès ». Cette prophétie ne tardera pas à se réaliser : Lemann est l’un des seuls brésiliens à être admis à Harvard. Selon ses dires, il ne doit toutefois pas son succès aux connaissances qu’il a acquises dans les salles de cours de la prestigieuse institution, mais bien aux vagues de Rio. L’homme d’affaires d’exception n’est pas, selon lui, le plus savant, mais bien celui qui sait prendre des risques et qui a confiance en lui. D’athlète professionnel à self-made-man, il n’y a qu’une marge.
Cette marge, Lemann la franchit sans problèmes ; après avoir été champion national de tennis, il se lance dans le rachat et la restructuration d’entreprises financières. En 1970, il fonde et place en tête du marché la banque Garantia qu’il vendra éventuellement à une firme suisse pour se concentrer sur le rachat de compagnies extérieures au domaine financier. Après une vingtaine d’années d’opération au Brésil, ceux qu’on surnomme les trois mousquetaires (Lemann, Marcel Herrmann Telles et Carlos Alberto Sicupiva) se lancent à la conquête du marché américain.
Si Lemann demeure relativement inconnu dans l’hémisphère nord, son empire grandissant n’est pas négligeable. Au cours de la dernière décennie, 3G, le groupe dont Lemann fait partie, a pris le contrôle d’Anheuser-Busch InBev — le plus grand brasseur au monde qui possède entre autres Budweiser — de Burger King et de Heinz avec la collaboration de Warren Buffett et récemment, Tim Hortons. Ces investissements ont d’ailleurs valu à Lemann le 26e rang du classement Forbes et le titre de l’homme le plus riche du Brésil. Cette année, ses avoirs s’évaluent à 25,3 milliards de dollars américains.
Dans le monde des affaires, Lemann est reconnu pour son approche ferme, mais efficace. Lorsqu’il rachète une entreprise, il en revoit la structure complète. Sa politique de resserrement et de coupure est controversée ; Bloomberg Business rapporte que sous Hees, le CEO placé à la tête de Heinz par 3G, 9 % de la main d’oeuvre a été renvoyé, notamment à Pittsburgh. Sachant que Heinz est depuis longtemps ancré dans cette ville dont elle soutient l’économie, ces coupures ne sont pas négligeables. La méthode Lemman est pourtant efficace, toujours d’après Bloomberg, la valeur des parts d’AB InBev a, depuis cinq ans, augmenté de 150%. Burger King, qui bat de l’aile depuis des années, totalise aujourd’hui une valeur deux fois plus élevée que lors de son rachat par 3G.
Porté par cette vague de succès, il semblerait que 3G prépare un autre gros coup. Forbes rapportait, en novembre dernier, la création d’un fonds d’investissement par le groupe. Un fonds rassemblant déjà 2.5 milliards $. Forbes soutient qu’il ne serait pas étonnant que cet appel à l’investissement vise le rachat de Coca-Cola, étant donné l’attrait de 3G pour les grands noms américains. Coca-Cola serait dans une période d’instabilité due à un désaccord au sein de la direction. Considérant que Warren Buffet détient déjà 9.7 % de l’entreprise, un nouveau partenariat pourrait être envisageable.