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On y était : Robert Henke – Lumière II, 18 février 2015 (Centre Pompidou, Paris)
Ce vieux fantasme d’un langage audiovisuel ultime devient en général une des obsessions de tout musicien électronique passé un certain stade dans sa carrière. Robert Henke, scientiste électro émérite et moitié du duo Monolake, récemment interviewé (lire), a pratiquement tout brassé depuis 20 ans, de l’ambient écologique à la techno hi-fi taillée au scalpel. Aujourd’hui, il entre logiquement dans sa phase « spectacle son et lumière », et n’évite pas tout à fait l’écueil de l’exercice. Lumière a pour ambition de détourner l’outil souvent décrié du laser de son utilisation attitrée – à savoir, des décennies d’animations visuelles craignos types discothèque de campagne et décoration de Noël. Le pari est tentant, et ouvre un champs des possibles attrayant, Henke promettant de pousser l’instrument à ses limites. Dans les faits, Lumière, dont la deuxième version a été inaugurée au Centre Pompidou le 19 février dernier, est une affaire bien prévisible, et ne dépasse que rarement son statut de distraction technologique de pointe.
C’est que le producteur teuton n’est pas le premier sur le créneau, et il le sait pourtant bien. Avant lui, les textures de l’electro-expé ont déjà eu droit à toutes sortes d’habillages video, qu’il s’agisse de la matrice stroboscopique de Ryoji Ikeda, des oscilloscopes de Pan Sonic ou des schémas intriqués d’Alva Noto, pour les exemples les plus immédiats. L’approche d’Henke est ici bien naïve, et c’est peut-être délibéré. Pour autant, la poésie, ou le frisson sensuel, n’émergent que lors des quelques séquences les plus épurées. En ouverture, un ballet de fines lignes parallèles déploie toute la profondeur et la dimension tactile des lasers. L’illusion semble alors prendre vie, et c’est l’un des rares moments où l’on aperçoit le début d’un vrai langage abstrait né du son et de l’image. Plus tard, toute une géométrie saillante et rétractable se jouera de notre regard pendant un moment, en synchronisation parfaite avec des beats eux-mêmes très perpendiculaires, une figure certes un peu usée mais auxquels les sens ne peuvent résister.
Pour le reste, rien qui ne dépasse vraiment le décoratif, type économiseur d’écran. Dès qu’il alimente sa formule, Henke glisse vite dans un cosmos filandreux mille fois traversé, des couleurs trop sucrées, des motifs éculés (des chiffres, qu’on aimerait bien prendre comme de simples formes abstraites, mais qu’une typo à la Matrix référence trop) et une récurrence de spirales et de mouvements circulaires qui lasse vite. La bande-son elle-même, certes satisfaisante, est à ranger parmi les productions les plus prudentes et linéaires de l’artiste teuton, et certaines formes lumineuses auraient peut-être mieux respiré avec un son moins fourni – et sans fumigènes devant l’écran ! L’émerveillement, ou l’attrait ludique de certains passages, s’estompe souvent sous la profusion d’autres, carrément kitschs. Ainsi, Lumière II demeure un divertissement oculaire et auditif haute-fidélité qui ne se renie pas, mais n’atteint ni la fusion son/image à laquelle Henke aspire, ni la pertinence à laquelle il nous a habituée.
La première mouture du spectacle est d’ailleurs disponible dans son intégralité sur les internets.
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