Le bonheur ne court pas
Par Marie-Claude Gay
Ceux qui l’ont rencontrée à pareille date l’année dernière ont connu une demoiselle qui vit à cent mille à l’heure, qui a trois à quatre emplois en plus d’être étudiante universitaire à temps plein. Une jeune femme dans la vingtaine qui s’entraîne six fois semaine, qui obtient de bonnes notes, qui a le temps d’entretenir seulement quelques véritables amitiés. Elle court toujours, est sans cesse essoufflée, toujours en retard et prend pour acquis les personnes véritables qui l’entourent. Elle est absente ou seulement de passage aux évènements familiaux et fait attendre ses amies à des rendez-vous qu’elle avait elle-même fixé pour jaser. Elle n’arrive pas à retrouver son souffle. Et surtout, elle n’arrive pas à apprécier la vie lorsqu’elle est sur pause. Les instants de repos la stressent, les temps libres l’effraient. On ne lui a jamais vraiment appris quoi en faire. Au cours de l’année, la jeune femme a entamé différents livres sans jamais les terminer, faute de temps. Elle court après le bonheur, persuadée que chaque heure consacrée à le chercher est un pas de plus vers la réussite. Si seulement elle savait…
Elle est partie en voyage trois mois autour du monde où elle a parcouru différents pays aux classes sociales distinctes. Elle est parvenue à redéfinir les notions de pauvreté et de richesse en les ayant côtoyées de près. Tu meurs de soif, ou bien tu bois des bulles, comme disait monsieur Bruel. La demoiselle a vu des enfants africains frêles qui avaient à peine de quoi manger et se vêtir, pourtant scintillants de sourires désarmants. Des maisons en cartons qui abritent cinq à six enfants. Elle a aussi vu des gens fortunés bêtes et misérables, qui passaient à côté de la vie sans même s’en apercevoir. À son retour, elle a déposé son sac à dos de voyage et a entrepris un ménage, pour ne conserver que l’essentiel, sur un coup de tête. Elle a donné des vêtements qui avaient encore leurs étiquettes à des amies et envoyé le reste aux plus démunis. Déjà, elle se sentait plus légère.La jeune femme a quitté la grande ville pour déménager en région, où elle a apprivoisé les silences et les grands espaces blancs. La semaine dernière, elle a terminé la lecture d’un roman, chose qu’elle n’avait pas faite depuis deux ans maintenant. Elle n’a qu’un seul emploi, et c’est celui dont elle a toujours rêvé. Il lui arrive parfois encore, par moment de calme plat, de sentir l’angoisse monter en elle, le désir de briller, de faire quelque chose de plus qui lui permette de se surpasser. Puis, elle se ressaisit en se concentrant sur ce qu’elle possède déjà, sur ses besoins réels.
L’autre soir, elle était assise à un souper à une table remplie d’amis qui souriaient et qui s’esclaffaient. Le temps s’est arrêté. La jeune femme a regardé autour d’elle. Et pour la première fois de sa vie, elle a compris ce qu’était la richesse. C’est à ce même moment qu’elle a découvert l’essence du terme bonheur, de la réussite.
«Si tu veux te sentir riche, tu n’as qu’à compter les choses de ta vie que l’argent ne peut pas acheter.»