Je vais vous parler d’un spectacle dont j’avoue être sortie perplexe, bien qu’il soit plutôt acclamé par les critiques. L’avantage, c’est que ça fait de moi un juge partial. Dans tous les cas, Les règles du savoir-vivre dans la société moderne mérite qu’on en fasse un petit papier, car c’est intéressant, original et bigrement instructif.
Je tiens déjà à dire que je n’ai jamais été un très bon spectateur des one-man-show (je me répète). Quelque chose d’un peu sérieux (ou de snobinard) me rend parfois hermétique aux rires à gorge déployée, et j’ai du mal à oublier le quatrième mur au point de me taper le cul par terre de rire aux éclats. Mais ça, c’est pour moi. Du coup, je vais m’ouvrir un tantinet aux réactions générales de la salle et vous dire que : c’est une pièce à mourir de rire.
Et en effet, c’est très drôle. D’autant que l’unique comédien en scène, Martin Junanon du Vachat – ne partez pas -, rend le tout assez délectable : une diction parfaite, des mimiques tordantes, un sérieux pince-sans-rire cynique mais hilarant. L’accoutrement du jeune homme à la barbe bien taillée et aux grands yeux clairs, avec ses gants de velours remontés jusqu’aux coudes, l’étoffe de soie luisante qui lui couvre les épaules, et la robe de cocktail aguicheuse n’y sont pas peut-être pas pour rien non plus.
Naître, ce n’est pas compliqué. Mourir, c’est très facile. Vivre, entre ces deux événements, ce n’est pas nécessairement impossible.
Jean-Luc Lagarce, 1994
Photo Azad Petre
La représentation consiste en un monologue. Seul en scène, le comédien récite un texte très écrit, très formel, et on prend quelques temps avant de comprendre de quoi il retourne exactement. C’est en réalité une pièce de Jean-Luc Lagarce, écrite en 1994 à partir d’une véritable archive, l’authentique ouvrage Usages du monde de la baronne Staffe, livre de chevet de toute dame qui se respecte.
En réalité, la baronne entend vous donner toutes les règles et us à suivre pour dérouler son existence dans le respect des bonnes mœurs et braver toute épreuve ou désagrément de la vie. Je vous laisse imaginer à quoi ça peut bien ressembler. Mais le génie de Lagarce est qu’il arrive à détourner et démonter ce discours avec trois fois rien. Pratiquement sans modifications, tant le texte en lui-même, lu à froid, sans contexte, ou plutôt dans le contexte actuel, est parlant en lui-même.
« Si l’enfant naît mort‚ est né mort‚ il faut quand même‚ tout de même‚ déclarer sa naissance‚ déclarer sa naissance et déclarer sa mort et un médecin devra attester que la mort a précédé la naissance. Ainsi que cela commence. Si l’enfant naît vivant‚ est né vivant‚ si l’enfant est vivant‚ il arrive parfois que cela arrive‚ si l’enfant naît vivant‚ sa naissance doit être déclarée à la mairie du lieu où la mère a accouché. »
Ce texte incroyable est mis en valeur par la sobriété de la mise en scène (pour ne pas dire son absence), mais aussi avec l’ironie et la provoc’ du costume du comédien qui incarne le cliché de l’homosexuel drag queen. D’autant que dans le texte original, le comédien en scène est supposé être une femme ! Ce qui fait sens… Les bonnes manières, c’est pour les potiches. Pas pour le patriarche.
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Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne
Mise en scène par François Thomas et joué par Martin Juvanon du Vachat
Texte : Jean-Luc Lagarce
Théâtre des Déchargeurs.
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