Elle aurait pu signer son remarquable premier roman des mots "Fait par moi, Océane Madelaine", à l'instar des potiers du XIXe siècle que l'on découvre dans le premier livre de la jeune Française Océane Madelaine, "D'argile et de feu" (Editions des Busclats, 122 pages), qui vient de remporter le Prix Première 2015 (5.000 euros), attribué par un jury de dix auditeurs de la RTBF. En effet, la lauréate née en 1980 à la Roche Saint-Secret, en Drôme, est autant céramiste qu'écrivain.
"D'argile et de feu" est de ces premiers romans qui enthousiasment par leur degré de qualité et leur originalité. Oui, il y a encore des choses à écrire, et de quelle manière. Le livre s'ouvre sur un bref texte introductif dont on comprendra tout le sens une fois la lecture terminée. Océane Madelaine fait se croiser deux Marie, celle d'aujourd'hui, qui a presque trente ans et se raconte dans un cahier blanc, celle d'hier (1814-1874), qui s'appela d'abord Jeanne, fut potière dans un monde d'hommes et se raconte dans un cahier rouge. Celle qui signait ses bouteilles "Fait par moi, Marie Prat".
"Je suis un point qui marche", écrit la narratrice du cahier blanc. On la découvre traversant la France du nord au sud dont elle est originaire. Seule et à pied: "tout quitter avec mes pieds pour seuls complices". Une nécessité impérieuse qui s'impose un jour à elle. Elle, le point, part pour faire le point. Sur quoi? Elle qui a peur du feu part pour retrouver la garrigue qui s'est embrasée quand elle était petite fille. Pour l'affronter. Pour s'affronter. On découvre peu à peu son chemin dans ce beau roman initiatique, dont les mots sont pétris, malaxés, raffinés et donnent une écriture magnifique, enveloppante, incantatoire par moment lorsque les expressions se répètent.
En route, la Marie d'aujourd'hui va s'arrêter dans une cabane abandonnée, découvrir cette autre Marie d'hier, à moins qu'elle se fut appelée Jeanne, la potière qui paraît sûre d'elle malgré ses origines inavouées, l'aïeule dont l'énergie va glisser en elle à travers le temps et lui permettre d'affronter ce passé insupportable. Ce passé qu'elle a toujours tenté d'oublier, ces souvenirs enfouis qu'elle va apprendre à regarder en face, ce feu qui la terrifie, on la comprend, qu'elle va réapprivoiser. "D'argile et de feu" est un roman qui prend au cœur.
Océane Madelaine signe un livre finalement très construit au-delà des apparences, sur la mémoire et les cauchemars qu'elle provoque quand elle est mise au secret. Sa langue travaillée séduit et emporte le lecteur alors que son histoire permet à ce dernier d'en combler les blancs à sa guise. Comme si ses deux Marie se parlaient à travers le temps, l'énergie de l'aînée, soutenue par son talent inné de potière, reconnue et aimée, se transmettant à la cadette, petite fille foudroyée par la violence de ses parents pourtant aimants et devenue muette à ce sujet à cause de cela. Jusqu'à l'apaisement final. "Je suis une ligne d'horizon", écrit-elle alors dans son cahier blanc.
Océane Madelaine est la lauréate du Prix Première 2015. (c) Pierre Havrenne/RTBF
Un apaisement souhaité car tout est équilibre chez la jeune romancière aux yeux bleus et aux cheveux de feu. "Je navigue entre le monde de la céramique et celui de la littérature", me dit Océane Madelaine. "Au départ, j'étais plus portée sur la littérature. Mais à la fin de mes études de littérature, je me suis rendu compte qu'il me manquait quelque chose. J'ai alors suivi une longue formation en céramique."
A suivi l'ouverture d'un atelier. "J'ai toujours écrit et fait de la céramique. J'ai participé deux fois au concours de nouvelles du jeune écrivain. Et puis tout d'un coup, il fallait que mon premier livre sorte, qu'il soit publié. Il me fallait me rééquilibrer avec la notoriété que j'avais en tant que potière. Je cherche constamment des liens entre mes deux pratiques. Je travaille beaucoup la langue comme une matière que je pétris, que je malaxe, que je raffine. J'aime pétrir les mots, les cuire. Dans la céramique, c'est l'inverse. Je cherche l'évanescence."
"D'argile et de feu" est né avec le personnage de la Marie contemporaine. "J'ai d'abord eu le personnage. J'avais l'obsession d'un personnage qui marche. Puis il a pris l'épaisseur de la mémoire. Il y a deux cahiers car il y a deux récits dont j'ai toujours su qu'ils allaient se rejoindre. La surprise a été comment. Un cahier rouge comme le feu pour la potière d'hier, un cahier blanc comme le vide pour la narratrice d'aujourd'hui. Le lien entre les pères et les filles s'est, lui, tissé pendant l'écriture. Cette figure paternelle en double, en plus de la figure des mères, m'a bien plu. J'ai aussi voulu laisser beaucoup de place pour le lecteur."
"J'aime maîtriser ce que je fais. La parution de ce livre me donne un nouvel équilibre. Avoir l'objet publié, ce n'est pas rien. C'est une autorisation. Maintenant, j'ai le droit d'écrire pendant la journée. Maintenant, je suis dans une histoire double. Ça va continuer."
La journée idéale d'Océane Madelaine? Encore un exercice d'équilibre: "une ou deux heures d'écriture le matin, puis l'atelier où je plonge dans l'argile."
Les précédents lauréats du Prix Première
2014 Antoine Wauters, "Nos mères" (Verdier)
2013 Hoai Huong Nguyen, "L'ombre douce" (Viviane Hamy)
2012 Virginie Deloffre, "Lena" (Albin Michel)
2011 Nicole Roland, "Kosaburo, 1945" (Actes Sud)
2010 Liliana Hazar, "Terre des affranchis" (Gaïa)
2009 Nicolas Marchal, "Les Conquêtes véritables" (Les Éditions namuroises)
2008 Marc Lepape, "Vasilsca" (Galaade)
2007 Houda Rouane, "Pieds-blancs" (Philippe Rey)