Grâce à l’écoute attentive des corporatistes de tous poils, le gouvernement travaille de façon acharnée à réduire le pouvoir d’achat des Français et il s’évertue même avec un certain succès à diminuer ses opportunités de créations d’emplois. C’est peut-être même ce qu’il sait faire de mieux. Dans ce contexte, il serait vraiment dommage que le ministère de la Culture ne participe pas à l’effort gouvernemental en sabotant, par exemple, l’accès à la culture pour des milliers de Français. Heureusement, Fleur Pellerin est une femme de défis.
C’est donc sans la moindre surprise qu’on découvre qu’elle n’a pas pu s’empêcher de vitupérer (encore une fois) contre Amazon qui serait en contravention avec la loi française et elle a même estimé que l’entreprise, américaine donc coupable, devra « se mettre en conformité » avec cette loi. En effet, le site Amazon.fr avait annoncé en décembre dernier le lancement de son nouveau service d’abonnement, le Kindle Unlimited, qui cumule l’impudence d’offrir à ses clients un accès illimité et donc fort simple à une vaste sélection de livres numériques à l’indécence d’un prix d’abonnement à seulement 9,99€ par mois.
Difficile de ne pas hausser un sourcil. Bien évidemment, pour arriver à ces conclusions, la ministre s’est largement appuyée sur le travail des habituels « experts du milieu » qui permettent de balancer d’épais rapports où, d’auditions en auditions, on aboutit à l’opinion éclairée que le statu quo ante est tout de même confortable, que l’innovation proposée n’en est pas vraiment une, qu’elle n’apporte donc rien de bon et mérite évidemment de périr dans les flammes de l’enfer, avec une poignée de chatons libéraux pour faire bonne mesure. Pour les professionnels de la profession qui savent que l’avenir peut se passer des vilains américains, l’affaire est entendue : la loi de 2011 s’applique, elle impose que l’éditeur fixe le prix du livre ou de l’abonnement, et pas le distributeur, et, je cite,
« il leur revient d’explorer tous les champs du possible pour répondre aux attentes de lecteurs qui sont aussi des consommateurs, sensibles au prix, à la souplesse d’accès, aux services qui existent sur internet et qui peuvent être tentés sinon par le piratage. »
Non, sans blague ! Après avoir précisément contraint le prix, après avoir explicitement imposé que seuls certains acteurs aient leur mot à dire et pas d’autres, après avoir fait pondre des lois et pris des positions publiques pour empêcher Amazon de prospérer en France, il est de bon ton de préciser, hommage du vice à la vertu, que si on fait un peu n’importe quoi, le lecteur, consommateur à ses heures perdues, pourrait l’avoir mauvaise et se lancer dans le piratage. Vous le sentez, ce petit parfum un peu spécial ?
Et bien sûr, le piratage ne sera pas du tout encouragé par la pauvreté des offres françaises comparées aux offres étrangères (d’ailleurs listées dans le rapport), ce qui permet d’aboutir à la conclusion (p34 du pavé) que – comme c’est surprenant, je suis surpris, c’est étonnant – « il paraît donc inopportun de modifier les dispositions législatives relatives au prix du livre numérique » parce qu’« une dérégulation ou un changement de dispositif présenterait des risques bien supérieurs (…) aux difficultés (…) que pourront rencontrer les opérateurs proposant des services d’abonnements pour se mettre en conformité avec la loi ». Et vlan, prends-toi ça dans les dents Amazon !
Bref, alors même que le monde change et s’adapte à vitesse grand V, alors même que le pays démontre tous les jours un besoin criant d’une culture bon marché et facile d’accès, alors même que le pouvoir d’achat de sa population dégringole, et alors même que des solutions se développent pour répondre à ce besoin criant et résorber cette dégringolade, la France et son ministre de la Culture ont officiellement choisi de ne pas trop s’adapter, parce que périr lentement (seule alternative possible dans le monde réel) semble bien plus douillet.
Comme je l’évoquais dans un précédent billet, tout indique que les ruptures technologiques se poursuivent et s’accumulent à un rythme que la piétaille politicienne a bien du mal à suivre, n’étant de toute façon pas équipée pour intellectuellement. Il ne se passe plus une semaine sans qu’une fissure n’apparaisse dans les murs en moellons que nos élus ont construits sur des compromis corporatistes, par la force de l’habitude et via des brouettées de lois mal torchées pondues pour plaire aux petits copains et pour adoucir les vicissitudes du moment.
Chaque nouvelle application, chaque nouveau paradigme économique, chaque invention marketing se placent de plus en plus en rupture totale avec les habitudes des politiciens, et en opposition frontale avec les modes de production et de consommation jusqu’alors utilisés pour former l’économie mondiale sur laquelle ils ont prospéré. Les avantages que leur procurait leur situation de pouvoir sont rapidement en train de s’évanouir et on découvre que, mal informés, ils réagissent de plus en plus de travers et de plus en plus en retard. On en vient à constater, goguenard puis agacé, qu’ils alignent les clowneries pathétiques, et celles de Fleur Pellerin ne sont ni les premières, ni les dernières.
Alors que, pour sa culture comme pour le reste, le pays nécessite plus que tout de nouvelles méthodes, de nouveaux modes de pensée, de nouvelles voies de distribution, de nouveaux marchés, les forces conservatrices font assaut d’efforts pour tout bloquer, tout calcifier, tout bétonner dans la glu législative la plus épaisse. En tendant trop l’oreille à ces forces, Fleur Pellerin, comme les autres ministres du reste, signe en réalité pour le pays son arrêt de mort lente, diffuse et peu douloureuse mais parfaitement inéluctable.
Ce pays est foutu.
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