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EVA JOLY DÉPUTÉE AU PARLEMENT EUROPÉEN (EELV)DOMINIQUE SICOTVENDREDI, 20 FÉVRIER, 2015HUMANITÉ DIMANCHEAlors qu’à Bruxelles les leaders politiques s’échinent à empêcher des investigations sérieuses sur la fraude, l’ancienne candidate à la présidentielle revient sur les (grandes) lacunes et les (petits) progrès. Elle met en garde: toute nouvelle règle produit de nouvelles stratégies de contournement. Une extrême vigilance s’impose.HD. Offshore Leaks, LuxLeaks, SwissLeaks ... les révélations se succèdent. Êtes-vous surprise de ce que ces enquêtes ont mis au jour ?EVA JOLY. Malheureusement non. Mais ces révélations nous permettent d’aller beaucoup plus loin dans la connaissance de détail d’opérations qui ne sont pas seulement illégitimes, mais souvent illégales. Qui fait quoi et où ? Comment ? Des noms apparaissent, les pratiques de l’industrie du blanchiment se révèlent. Je veux que l’on mesure que rien n’aurait été possible sans les lanceurs d’alerte. Les risques qu’ils ont pris sont considérables. Qu’ils en soient remerciés. Hervé Falciani, Stéphanie Gibaud ou encore Antoine Deltour (qui a révélé les pratiques douteuses du cabinet PWC – NDLR) permettent à la démocratie d’avancer. Leurs informations sont précieuses. Et le travail des journalistes est admirable, en particulier quand ils résistent aux pressions. On ne peut pas faire tomber un système sans en connaître les rouages.HD. Ce travail est essentiel au débat démocratique. Mais révéler ces pratiques, l’impunité relative des fraudeurs, les connivences politiques ... ne risque-t-il pas de nourrir encore le sentiment du « tous pourris »... et l’extrême droite ?E. J. La vérité ne fait pas le jeu des extrêmes. Au contraire ! Ce sont les tergiversations des responsables politiques qui font le jeu des populistes. Encore ces dernières semaines au Parlement européen, les présidents des grands groupes politiques (socialistes, libéraux et conservateurs) ont multiplié les manœuvres pour empêcher une commission d’enquête parlementaire de voir le jour. Pourquoi une telle pusillanimité ? La détermination des écologistes et des parlementaires de la gauche radicale aura seulement permis d’arracher une commission « spéciale». Du coup, le Front national a beau jeu de se présenter comme le défenseur de la vertu outragée...HD. Depuis 2009, les gouvernants parlent d’éradiquer les paradis fiscaux. Où en est-on réellement ? La fin du secret bancaire en Suisse, l’échange automatique de données, est-ce efficace ?E. J. Comme je vous le disais, les choses avancent. Il aura fallu faire plier le Luxembourg et l’Autriche notamment pour aller vers un système d’échange automatique des informations fiscales sur les comptes bancaires. Dans quelques semaines, l’Union européenne validera également un système, certes imparfait, de registre semi-public sur les propriétaires effectifs de toutes sortes de sociétés-écrans, fondations et trusts. En clair, des sociétés jusqu’alors 100 % anonymes, domiciliées dans divers paradis fiscaux, qui empêchaient quasiment toute traçabilité, vont devoir révéler leurs propriétaires. Mais soyons très clairs, la partie est très loin d’être gagnée. Chaque nouvelle règle produit une nouvelle stratégie de contournement. Il faudra donc se donner les moyens régulièrement de modifier les règles, de surveiller leur bonne application, et de condamner très sévèrement ceux qui les violeront.HD. Qui sont aujourd’hui les vrais fraudeurs, selon vous ?E. J. Depuis l’éclatement de la crise, aucun dirigeant de banque n’a été vraiment inquiété, à l’exception des dirigeants de banques islandaises. À la lumière des dizaines de scandales qui se multiplient, cette exception souligne l’incroyable impunité dont jouissent ceux qui ont organisé ce hold-up géant. Qu’on n’amuse pas la galerie avec les noms d’artistes célèbres ! C’est anecdotique bien que répréhensible. Je pense à la vérité que c’est par la tête que le poisson pourrit. Les élites dirigeantes devraient être irréprochables. Or, le listing HSBC pointe du doigt les puissants qui ont profité de la protection de la banque. Quand on apprend qu’un compte ouvert au nom de la mère de l’ancien premier ministre grec Papandréou contenait 500 millions d’euros, on comprend mieux la déréliction politique du PASOK. Mais pire encore, on comprend mieux l’ampleur du problème quand ces listings mettent au jour le nom de narcotrafiquants, de revendeurs de diamants de sang ou de parrains du terrorisme voisinant avec ceux de dirigeants de mégabanques. Les frontières entre délinquance financière, crime organisé et terrorisme sont poreuses. Aucune réponse au terrorisme ne peut faire l’impasse sur cette réalité.HD. On parle beaucoup de l’évasion fiscale pratiquée par les multinationales, notamment américaines (Google, Apple, Amazon...). Nos « champions nationaux » comme on dit, seraient-ils plus vertueux ?E. J. Comment le croire ? Les mêmes logiques ont de fortes chances de produire les mêmes effets. Simplement, nous manquons d’informations. La proximité des pouvoirs politiques et économiques en France favorise cette opacité.HD. Quel est selon vous le niveau pertinent pour lutter contre ces pratiques: le G20, l’Europe, chaque État... ?E. J. Le G20 est forcément un espace d’impulsion politique nécessaire. Et la France doit avoir une volonté forte et pionnière. Mais c’est l’ Europe qui elle seule peut peser sur l’ensemble des paradis fiscaux, notamment en faisant le ménage en son sein. Depuis trop longtemps nous nous menons une guerre fiscale, alimentée par le Luxembourg, la City de Londres, les Pays-Bas ou encore Malte. Cette guerre fiscale a des conséquences désastreuses sur la construction européenne. Mais nous vivons maintenant un moment de vérité paradoxal. Face aux scandales, la pression populaire et politique monte. Mais l’ironie veut que, dans le même temps, Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre du Luxembourg et longtemps lobbyiste en chef des paradis fiscaux, devienne président de la Commission européenne. Cette situation est politiquement intenable et laissera quelqu’un sur le carreau: soit ce sont les paradis fiscaux qui reculent, soit l’idée européenne périclitera.HD. Au Parlement européen, avec le groupe des Verts, vous êtes très active sur ce sujet ? Qu’avez-vous déjà obtenu ? Que souhaitez-vous obtenir ? Quels sont les blocages ?E. J. Le groupe des Verts au Parlement européen marche sur deux pieds. La mise sous pression permanente de l’exécutif européen et la multiplication des propositions et amendements dans le travail législatif. C’est une guérilla démocratique menée en lien avec les ONG, les journalistes et les lanceurs d’alerte. Face à la tentation du statu quo, nous essayons de déstabiliser les puissants, de mettre sous pression les frileux et de travailler avec tous les pro-européens courageux. Cela nous a permis d’obtenir lors du précédent mandat la transparence pays par pays sur les activités financières des banques européennes. Cela nous a permis de faire progresser les registres publics pour les sociétés-écrans, fondations et trusts. J’espère que, durant ce mandat, nous obtiendrons par exemple l’extension de la transparence financière à toutes les multinationales. Mais, pour cela, il faudra maintenir la pression dans la durée.HD. Êtes-vous optimiste ?E. J. Mobilisée. La prise de conscience est plus forte. Les oppositions et les blocages persistent mais ils s’exercent dorénavant au grand jour, rendant la colère citoyenne toujours plus dure à contenir. Le système craque. Ceux qui le protègent doivent renoncer, ou bien s’attendre à être balayés.http://www.humanite.fr/eva-joly-pour-lutter-contre-les-paradis-fiscaux-leurope-doit-faire-le-menage-en-son-sein-566280