Lisez et imaginez...
Assis sur le carton qui m'isole un peu du béton froid, sous les lumières joyeuses qui clignotent dans les arbres, mon regard croise des milliers de jambes pressées contre lesquelles battent des sacs logo typés contenant des surprises enrubannées. L'heure est à la fête, nul ne peut l'ignorer en passant devant les vitrines brillamment illuminées derrière lesquelles s'entassent victuailles festives et cadeaux convoités.
Parfois, j'observe les passants. Eux, ne m'accordent que rarement un regard. Ils sont pressés de rentrer se préparer pour la fête. Moi, je suis transparent !
Tiens, celle-ci, bien maquillée : sans doute rejoint-elle un petit ami, un fiancé ? Au chaud dans leur nid douillet, ils vont échanger promesses et tendresses en s'échangeant un présent plein d'attention. Et celui-là, un peu engoncé dans la parka enfilée sur son costume de cadre : il porte une alliance et de nombreux sacs desquels débordent les paquets joliment emballés qu'il déposera bientôt au pied du sapin pour surprendre ses enfants.
Un cadeau ? Je ne sais plus vraiment ce qu'est l'émotion d'en recevoir un, de la part de quelqu'un qui a pensé à moi en le choisissant... Je suis personne !
Pendant que rôtissent les pintades et qu'éclatent les bulles de champagne, ma seule préoccupation est de trouver suffisamment à bouffer pour me remplir l'estomac jusqu'à demain dont je ne sais jamais de quoi il sera fait. La plupart porteront ce soir des vêtements de fête. J'essaye de rester présentable dans les vêtements aux poches et aux genoux déformés récupérés ici ou là. Avant de se lancer dans la fête, ils se coiffent, se parfument, se mettent aux couleurs de la fête. Je n'ai pas eu le courage de prendre une douche ce matin : trop de monde à l'entrée des bains publics !
Même si je ne sens pas très bon, je n'espère plus qu'une porte cochère tranquille pour abriter mon sommeil léger du vent et de la pluie. Je ne suis rien !
Ces deux là, qui se donnent la main... Et celle-ci qui fait du lèche vitrine, portable collé à l'oreille... Ils ont pour point commun de se préparer à fêter Noël. Comme je me souviens l'avoir fait... il y a très longtemps. Dans ma mémoire un peu brouillée par l'alcool, le souvenir de l'odeur du sapin se mêle aux pires odeurs de la rue que j'apprivoise en survivant au ras du sol... J'aimerai ce soir recevoir un câlin. Je ne me souviens plus de ce que ça fait d'échanger une caresse, un bisous... De donner et de recevoir un peu de chaleur humaine... Nul ne peut comprendre ce que je ressens à ne jamais être touché qu'avec des gants... Nul ne s'imagine à quel point je souffre du manque d'échanges.
Assis sur mon bout de carton, je suis isolé dans ma peau, mon cœur et mon crâne. Je ne suis plus que solitude !
La place se vide peu à peu. J'essaye de me fondre dans mon duvet pour ne perdre aucune parcelle de chaleur. Je grelotte de ce grand vide autour de moi tout autant que du froid. Et puis voilà qu'une voiture s'arrête à quelques mètres. Un petit groupe d'individus en descend et s'approche. Ils m'offrent des fruits, un sandwich. Accroupis à moins d'un mètre, ces personnes venues à ma rencontre me parlent en me regardant dans les yeux. On partage un café. On se sourit, on rit un peu. Je me réchauffe à leur contact.
Avant de partir, ils me souhaitent du courage et un joyeux Noël en m'offrant un cadeau bien emballé. Et ils me donnent rendez-vous à la semaine prochaine. Ils ont pensé à moi. Ils reviendront. Je suis un homme !