Cosi Fan Tutte, une comédie sans enjeux, à l’Opéra de Nice

Publié le 25 février 2015 par Rémy Boeringer @eltcherillo

Cosi Fan Tutte, opéra créé le 26 janvier 1790 au Burgtheater de Vienne, marque la troisième collaboration du librettiste Lorenzo da Ponte et de Wolfgang Amadeus Mozart et reste l’une des œuvres les plus célèbres du jeune prodige. Célébré dès sa première création, il a été depuis joué sans interruption à travers le monde. Du 15 février 2015 au samedi 21 février, l’opéra-bouffe a été joué à l’Opéra de Nice sous la direction artistique de Karen Stone et la direction musicale de Roland Kluttig.

Guglielmo (Mattia Olivieri) et Ferrando (Valerio Contaldo), deux jeunes officiers italiens, se laissent convaincre par Don Alfonso (Armand Arapian), un de leurs amis, de vérifier la fidélité de leurs femmes, Fiordiligi (Nathalie Manfrino) et Dorabella (Daniela Pini), qu’ils jugent incapable de traîtrise. Déguisés en prince albanais, ils tentent alors de séduire les deux sœurs après les avoir persuadées qu’ils partaient en campagne militaire.

Dorabella (Daniela Pini) et Fiordiligi (Nathalie Manfrino)

Souvent décrit comme une exploration des cœurs ainsi qu’une mise en abyme du dialogue entre le corps et l’esprit, Cosi Fan Tutte est précédé d’une réputation de profondeur que l’on aura du mal à s’expliquer. L’impression première est surtout celle d’une comédie classique, sans grands enjeux ni réelle trame dramatique. On est loin de la fraîcheur et de la folie des opérettes du siècle suivant, tel La chauve-souris de Johann Strauss II. On atteint pas non plus, la pleine émotion, nous menant au bord des larmes, offertes par les compositeurs romantiques, tels Norma de Vincenzo Bellini. Aucun air ne se détache de l’ensemble pour nous emporter dans une fièvre lyrique. Le livret n’est pas non plus enthousiasmant. Jugé depuis notre époque, il peut être même déconcertant que soit étalé au grand jour une misogynie si flagrante. Avant le bar du commerce, c’est ici, à l’Opéra, qu’à été popularisé pour la première fois le fameux : « Toutes les mêmes ». Ainsi toutes les femmes seraient infidèles et inconstantes… Et cela, Mozart et da Ponte entendent le démontrer clairement. Magnanime, les deux cocus acceptent de marier malgré tout leurs fiancés et les pardonnent, car ce trait de caractère serait même leur nature profonde. Comédie moraliste, aux tristes conclusions, Cosi Fan Tutte n’a rien d’une exploration des raisons de l’infidélité et se contente seulement de condamner les femmes.

Ferrando (Valerio Contaldo), Despina (Marie-Bénédicte Souquet) et Guglielmo (Mattia Olivieri)

N’ayant rien ressenti d’enivrant, nous nous sommes penchés sur la réalisation de Karen Stone et les décors de Christiane Hercher. Le jeu des a teurs, très expressif, provoque des éclats de rire mérités dans la salle. Réactualisés selon la mode des années trente, le décor initial est la terrasse ombragée d’une maison de villégiature, fort animée, ou discutent les trois amis que sont Guglielmo, Ferrando et Don Alfonso. Lorsque leurs maris partent à la guerre, les deux jeunes femmes passent leur temps à se prélasser au bord de la piscine, tout en se lamentant de l’absence de leurs bien-aimés. Vient ensuite, le jardin où Dorabella, Fiordiligi et leurs prétendants albanais batifolent. Les trois espaces sont déterminés par un quai en bois et se mettent en place par un système tournant. Avec plus de moyens qu’à l’accoutumé pour l’Opéra de Nice, Christiane Herchera pu mettre en place un décor à la fois élégant et fonctionnel permettant de rendre vivant le récit et son développement. La modernisation du cadre ne gêne en rien la lisibilité et la compréhension. Dès lors que l’on parle d’Amour, même si c’est pour le rendre triviale, l’histoire que l’on compte devient intemporelle. Les costumes, quant à eux, mettent en valeurs les actrices tandis que les acteurs semblent ridicules dans leurs accoutrements étrangers. Peut-être une façon de dire que le plus ridicule, est peut-être celui qui tente le diable plutôt que le démon lui-même.

Fiordiligi (Nathalie Manfrino) et Dorabella (Daniela Pini)

N’enlevons rien au génie de Mozart, toutefois, à notre humble avis, Cosi Fan Tutte n’est pas l’œuvre la plus émouvante ni la plus intéressante du répertoire classique. Il est parfois plus intéressant de se pencher sur des œuvres plus méconnus, peut-être moins accessibles, mais plus profonde, plus saisissantes, plus dramatiques. Le mois dernier, la salle n’était que très partiellement remplis pour Peter Grimes de Benjamin Britten et pourtant, nous en sortîmes bouleversés.

Boeringer Rémy