« Journal 1935/1939 »
GIONO Jean
(La Pléiade/Gallimard)
Le Lecteur s’autorise enfin la découverte du Journal que tint Jean Giono de
1935 à 1939. Non qu’il n’en ait pas eu le désir, voilà près de vingt ans, lorsque fut publié dans la « prestigieuse » collection La Pléiade le septième tome des œuvres complètes de l’enfant de Manosque. Mais le « prestige » coûte plutôt cher et le Lecteur s’évite en règle générale de péter plus haut que son cul. Et qu’avant d’atteindre le tome sept, il avait tenu, en prenant tout son temps, à acquérir ceux qui le précédaient. Soit donc près de vingt années d’attente avant d’être enfin en mesure de lire les premières pages de ce Journal.
La première page s’ouvre sur la journée du 11 février 1935 : « Je viens de finir mon prochain roman. « Que ma joie demeure ». Le Lecteur interrompt provisoirement sa découverte au 26 décembre 1936. Le temps pour Lui de reprendre son souffle, de digérer, d’assimiler, de s’interroger aussi. Les deux premières années du Journal n’éclairent en effet que très peu sur les engagements, les prises de position de Giono en des années où l’histoire s’accélèrait (terreur nazie en Allemagne, victoire du Front Populaire en France, début de la guerre civile en Espagne…). Or, le déroulement des évènements qui concouraient déjà à l’ouverture de la Seconde Guerre Mondiale, ce déroulement ne fut effectif que dans les lettres que lui adressaient quelques-uns des écrivains avec lesquels il correspondait ou qui lui formulaient des requêtes. Gide, Aragon, Chamson, Paulhan, Dabit, Guéhenno, Anna Seghers, Ramuz… Giono répondait peu. Du moins dans le Journal. S’il affirmait ici ou là quelques sympathies à l’égard du Parti Communiste Français, ce ne fut jamais sans les assortir de réserves, réserves qui allèrent jusqu’à la proclamation de la rupture (fin novembre 1936, dans une lettre à Pierre Scize : « Ah oui, si vous connaissez Thorez et les autres, dites-leur que ce sont de rudes cons. »)
La rupture avec le PCF est donc consommée à la fin de l’année 1936. Giono ne défend alors plus qu’un pacifisme qui s’oppose au bellicisme des autres : celui des sociétés capitalistes, celui de l’Allemagne nazie et celui d’une Union Soviétique qui lui fit pourtant les yeux doux. Son Journal laisse dès lors entrevoir ce qui constituera le fondement de son parti-pris idéologique : la défense (voire même l’exaltation) du monde paysan, producteur des richesses de la survie collective, opposé au monde ouvrier, soumis à l’infernal gaspillage capitaliste et à son productivisme belliciste. Des thèmes récurrents que l’écrivain abordera dans un premier temps dans « Les vraies richesses « (1936) puis dans « Lette aux paysans sur la pauvreté et la paix » (1938), le premier texte étant soumis à ses nombreux solliciteurs durant la période concernée, le second étant en gestation dès 1936.
Durant ces deux années, Giono écrit beaucoup. Il s’astreint, comme en témoigne son Journal, à de longues heures de solitude, pour l’essentiel dans son « Donjon », à Manosque. Il règle fugitivement quelques comptes avec la famille de sa mère. Il laisse entrevoir ce que furent ses difficiles relations avec ses éditeurs (Gallimard et Grasset). Il ne narre aucune de ses escapades au Contadour, même s’il prend un évident plaisir à recevoir les louanges de ses adeptes. L’année 1936 est essentiellement consacrée à la rédaction de « Bataille dans la montagne ». Giono exprime en maintes circonstances la très vive satisfaction que lui procure le travail qu’il accomplit. Le Lecteur qui fréquenta plusieurs fois ce roman reconnaît bien volontiers que l’Ecrivain fut un avisé critique de l’œuvre en gestation. Mais le Journal lui-même ne lui a rien révélé de bien nouveau sur l’Ecrivain qui lui est familier depuis les temps lointains de son adolescence.
Une vie une oeuvre, Jean Giono (france culture)