Avec Réalité, qu’est-ce que Quentin Dupieux essaye de nous narrer ? D’emblée, le titre ressemble à un rictus de son réalisateur. Pendant plus d’1h20, le cinéaste Français élabore un scénario malin mais d’un absolutisme de l’absurde. La « réalité », telle que nous la concevons, s’en trouve bouleversée, émiettée et aimablement piétinée. Est-ce à dire que Réalité est dénué de sens ? Au contraire, son créateur tutoie son audience et est nez-à-nez avec notre rire, nos peurs, nos interrogations. Réalité est autant une comédie exigeante qu’une satire corrosive sur l’audio-visuel, et l’effroi à être derrière la caméra.
Réalité a tenté d’être le long-métrage le plus accessible au public parmi les autres réalisations créées par Quentin Dupieux. Pourtant, ce n’est pas par hasard qu’une personne lambda ira voir son dernier film. Chacune et chacun devrait pouvoir se forger sa propre opinion sur une forme de triture-méninges cinématographique. Certains penseront que Réalité est un échec infâme, d’autres objecteront que le message n’est destiné qu’à des cinéphiles référencés tandis, qu’enfin, plusieurs crieront au génie. En dehors des catégories, Réalité côtoie tous les publics à l’aide de deux constantes un humour singulier et un appel à l’esprit critique.
Du rêve à la réalité, plusieurs personnages.
Théoriquement, Réalité n’est autre qu’un dialogue, inhabituel, entre un producteur (Jonathan Lambert) terriblement dérangé et un caméraman (Alain Chabat) qui rêve de réaliser son 1er film d’horreur.
Réalité croise, sans démêler, l’existence de plusieurs personnages. La multiplication des récits est, aussi, un moyen de multiplier les vérités du scénario. Reality, Jason Tantra, Bob Marshal, un présentateur d’émissions culinaires, un réalisateur émerveillé à filmer pendant plusieurs minutes son sujet, un directeur d’école qui cache son travestissement par des rêves ou la femme psychanalyste de Jason … Tous, les uns et les autres, seront amenés à se croiser. La raison se cherche encore d’autant qu’elle est une mise en scène de l’absurde. Les êtres fictifs se croisent soit par ambition, celle qui est première dans la rencontre entre Jason et le producteur fou à lier, ou par la porosité des rêves et de la réalité.
Au début, Réalité schématise des situations simples où les personnages poursuivent une vie déjà anormale. Reality (Incarnée par Kyla Kennedy) est la seule à apercevoir un sanglier avaler une cassette bleue; le présentateur se dit victime d’un eczéma aigüe, le producteur Bob Marshal ne veut qu’une chose pour la réalisation de Jason Tantra : un cri digne d’un oscar, au diable le scénario et la réalisation. A la moitié de la narration, les rêves délitent progressivement les histoires individuelles et floutent les frontières entre rêves et réalité. Le personnage autant que nous ne parvient plus à faire la différence, la logique s’évanouit mais le sens persiste. Réalité joue sur l’absence de sens pour se doter de messages : drôles, plus dramatiques ou tout simplement critiques; Réalité donne à penser en riant ou en s’inquiétant.
Réalité intrigue. Dès le début.
4 ans ont été nécessaires, d’après les rares entrevues de Quentin Dupieux, pour mettre Réalité dans une situation labyrinthique. Réalité choque et a mis beaucoup de temps à déconstruire des idées, au fond, simples. Que l’on prenne ou pas ce propos en considération, le scénario porte avec lui un rire subtil et une critique qui l’est tout autant. « Une télévision » qui aspire « l’intelligence » ? « C’est de la science-fiction! » rétorque Bob Marshal. Ou, au contraire, l’omniprésence de la télé-réalité. Côté humour, on sourira aux facéties d’Alain Chabat dans sa quête illogique du plus vrai des plus atroces cris de douleur. On prendra plaisir à voir Jonathan Lambert penser tout haut ce que l’audience pense tout bas. En bref, Réalité n’est pas un drôle de film : il est inhabituel dans sa nature d’être une comédie, extrêmement retord dans la manière de s’inspirer de la concurrence pour une dérision volontaire.(Inception s’en trouve, en partie, raillé.)
Original dans sa progression, le long-métrage de Quentin Dupieux est bien plus classique dans sa manière d’aborder ses propos.
Minimalisme et traditions du cinéma
Alain Chabat n’est pas fou : il n’y a bien qu’une seule musique sur la bande-son de Réalité.
Cela doit être l’une des rares fois où une bande-son de cinéma est si pauvre. Dans un pur dépouillement, à l’aide d’une musique aux réminiscences neurasthéniques, Philippe Glass a été choisi pour être le seul artiste d’ambiance de Réalité. « Music with changing parts » tend le film comme une toile de fond dramatique. Cela fonctionne en même temps que cette solution de facilité agace. On le sait, peut-être, Quentin Dupieux est Mr. Oizo a eu une ambition qualifiable de mégalomaniaque en remplissant Wrong et Wrong Cops parus respectivement en 2013 et 2014 de la plupart de ses propres compositions. En quelques mots : Quentin Dupieux nous a habitué à mieux. Il y a probablement un sens. Pour beaucoup d’entre nous, il y a de l’insuffisance.
Classique mais efficace, Quentin Dupieux ne tente jamais des mouvements de caméra.
Du côté de la forme, Quentin Dupieux ne se cache pas d’être « chiant« . Il a beau, sur le ton de la plaisanterie et sur l’envie d’une référence osée avec « Kubrick ? Mes couilles! », déclamé par Jason Tantra, le réalisateur ne tente jamais de mouvements de caméra. Il faudra se contenter d’une apparence très photographique à l’aide du plan-séquence. Le résultat s’avère net, élégant et l’occasion de références discrètes : « Rubber 2″ s’affiche dans plusieurs plans; les décors profitent pleinement du cadre surréaliste de Los Angeles …
Jonathan Lambert, Elodie Bouchez ou Alain Chabat se plient parfaitement à l’ambiance. Chacune et chacun sait être convaincant et se fondre dans la fiction.
L’ensemble des acteurs se contente d’être dans une simplicité déconcertante et attendue. Si certains d’entre eux ont été clairement engagés pour leur physique surréaliste, le casting n’a pas été poussé à en « faire trop » mais à faire « de leur mieux » dans des scripts d’avance entre la banalité et l’absurdité. Réalité aurait sonné bien faux si Jonathan Lambert avait été excessif. On voit difficilement Elodie Bouchez être dans l’outrance dans son rôle de psychanalyste. En compensation, les insultes fussent; on ne voit pas toujours où la banalité des propos nous mènera … Mais puisque le spectateur est dans la dynamique, il suit avec agacement ou non des dialogues tout à fait banals dans des vies parallèles, croisées et paradoxales.
Si Réalité dispose de veines aussi classiques, comment peut-on passer à côté du sens ou de la sensation de ne pas avoir compris le ou les propos de Quentin Dupieux?
« Le cerveau dans les chaussettes! »
Réalité, ce sont des petits rien inexplicables. En s’accumulant, Réalité ne propose aucune réponse concrète et de rares pistes de lecture.
Outre l’accumulation de citations savoureuses et sorties des différents « héros » de Réalité, tout cinéphile se confronte au problème essentiel du film. Comment écrire à propos d’un film qui s’inspire de bribes, de dialogues qui ressemblent à un vinyle mal appareillé et à une accumulation de scènes incompatibles ? On peut se contenter de dire que Réalité est construit à la manière d’une écriture automatique où les fondations en seraient des rêves. Pourtant, on peut trouver de l’intérêt et même une élégance simple à Réalité. Il n’est pas irréalisable de contribuer à donner un sens à l’oeuvre de Quentin Dupieux car des structures apparaissent au fil des 86 minutes de long-métrage. Cette interprétation sera différente de la votre, de telle personne ou du spectateur senti méprisé par Quentin Dupieux. Là est aussi l’une des difficultés de rédiger à propos de Réalité : les choses sont perçues, des éléments sont parfois partiellement saisis, d’autres nous échappent totalement ou ont un caractère illogique. Généralement, l’on déteste par incompréhension ou, au contraire, on peut aimer sans l’expliquer clairement.
« Le spectateur voudrait savoir ce qu’il y a sur cette foutue cassette!! »
A sa corde comique, le drame n’est jamais loin dans le récit illogique du dernier film de Quentin Dupieux. Les rêves, omniprésents et sujets de raillerie, sont filmés. Cela parait abêtissant à écrire mais la réalisation insiste sur les rêves. Tous les personnages en font et expliquent pourquoi la compréhension s’en trouve bouleversée. Du rêve à la réalité, ce n’est pas un pas mais une fraction de seconde qui sépare le spectateur de l’image. Pour les plus importants, nos héros cauchemardent dans des rêves qui pourraient nous appartenir mais ils sont fondamentalement tournés vers le doute. Jason Tantra, dans le rôle presque central d’Alain Chabat, apprendra à ses dépends qu’être réalisateur revient à s’exposer à un défi, à des peurs, à une névrose. Comment être certain que le film trouvera son public ? Qu’il sera compris ? Apprécié ou jeté en pâture ?
Insistons. Réalité a de la malice. Il le prouve en empruntant tantôt à la littérature, tantôt à des artifices plus visuels ou voués à nous interpeller. Plus tard, le long-métrage pourra être un exemple exagéré de la mise en abyme. Pour la postérité, il rejoindra les films qui ont tenté et qui ont réussi à briser le fameux « quatrième mur ». Encore une fois, Jonathan Lambert (Et d’autres) structure un monologue à haute voix qui n’est autre que l’intime conviction du spectateur: « Qu’est-ce qu’il y a sur cette foutue cassette ?! ».
Réalité déconstruit des fondations extrêmement classiques. Quentin Dupieux livre une nouvelle oeuvre qui a, malgré tout, un côté ingrat en laissant chacun se démêler de cet univers illogique. Les spectateurs se partageront volontiers entre le dégoût ou l’appréciation. Au-delà du jugement de valeur, Quentin Dupieux impose un doute perpétuel à son audience qui reste en cohérence avec les autres créations du réalisateur Français. Constitué d’un humour inhabituel et d’une satire référencée, Réalité mérite un premier intérêt, un deuxième visionnage et plus pour sa subtilité.
On a aimé :
+ L’ensemble du casting : d’Elodie Bouchez à Jonathan Lambert … Et les autres.
+ Une critique subtile. (Inception et le rêve, le métier de réalisateur …)
+ Un humour singulier … et profondément absurde.
+ Le quatrième mur rompu et ce, à plusieurs reprises.
+ Un propos malin.
On a détesté :
- L’OST oppressante de Réalité : un seul morceau de Philippe Glass ! …
- Un propos qui apparaîtra condescendant pour de nombreux spectateurs.
-Un film accessible. Le plus accessible de Quentin Dupieux. Vraiment?