312. L’empereur Constantin fait un rêve. Puis, il gagne une
bataille. Il fait du Christianisme la religion de Rome. La thèse de ce livre
est que le Christianisme doit son succès au hasard. J’étais dubitatif
initialement. Mais j’ai été séduit... VEYNE, Paul, Quand notre monde est devenu
chrétien, Le livre de poche, 2010.
Constantin et Lénine, même combat ? Christianisme et marxisme sont curieusement similaires : pensées d'avant-garde, ultramodernes, elles tombent à pic en pleine quête existentielle des intellos de l’époque. Surtout, elles annoncent
une rédemption imminente ! Elles ont tout du « thriller » ou du « best
seller » : elles sont pleines d’innovations qui frappent l’esprit. Et
un grand leader, comme Constantin, mérite une cause et un discours à sa taille.
Et peut être même une innovation. D’ailleurs, il ne se voit pas comme un « fils »
de l’Eglise. Il ne lui est pas soumis. Il la guide.
Le paganisme n’a, cependant, pas abandonné la partie. Même
avec Constantin, paganisme et christianisme cohabitent. Le christianisme est au
mieux une sorte de religion officielle, qu’une frange de la population
pratique. Il ne pénètre la société que superficiellement. Seulement là où il n’y
a pas de résistance. A la mort de Constantin, le paganisme revient. Il serait
toujours là, si une bataille n’en avait décidé autrement. Un nouvel empereur
chrétien occupe le trône. Et la conversion de l’empire va aller à son terme. D’autant
que le christianisme, ancienne secte, est intolérant. Conversion, vraiment ?
Les rites païens demeurent, grimés. On ne fait plus de sacrifices d’animaux,
mais on continue à manger leur viande aux dates des anciens sacrifices, par
exemple.
Autre preuve que le christianisme n’a tenu qu’à un fil ?
En quelques siècles l’Islam l’a remplacé là où son implantation était la plus
ancienne : en Asie et en Afrique.
Mais, peut-être, ce hasard a-t-il donné des racines
chrétiennes à l’Europe ? Que nenni. Il suffit de regarder le christianisme
d’hier pour n’y rien trouver de ce à quoi nous croyons aujourd’hui. En outre,
le christianisme n’a été qu’un élément de ce qui a constitué l’Europe, parmi d’autres
produits du hasard. Notre humanitarisme, par exemple, vient des Lumières et non
du christianisme comme on pourrait le croire. Au mieux, elles ont trouvé avec
le Christianisme un terreau favorable. Mais elles lui ont fait dire le
contraire de ses intentions.
Afin de montrer que le hasard joue décidément un rôle
déterminant dans l’histoire des idées, le livre se conclut sur la
transformation du judaïsme en monothéisme. Le judaïsme a connu bien des avatars,
des innovations et des hésitations, avant de se figer dans sa forme actuelle. Il
a reconnu d’autres dieux que le sien, il a été traversé par des épisodes de
paganisme, il a été séduit par la pensée grecque et les dieux égyptiens. Il a aussi
eu un moment de prosélytisme, à l’époque romaine. Mais le christianisme lui a
volé la vedette. Alors, il s'est replié sur lui-même. Ce n’est que très lentement que l’idée d’un dieu unique, mais
propre aux Juifs, a émergé, avec la domination d’une
faction dont c’était l’interprétation.
Mais ce livre parle-t-il du passé ou du présent ? Il me semble montrer que nous réécrivons le passé à la lumière de nos idées reçues. Non, les empereurs antiques n'avaient pas besoin de manipuler les esprits pour les diriger. Non ce ne sont pas les belles paroles qui convertissent les esprits...
Pourtant, Paul Veyne
ne m’a pas totalement converti à son explication. A mon avis, il montre principalement que
le christianisme, le marxisme, les Lumières ou la Nouvelle économie ont joui d’un
terrain favorable pour s’implanter. Il y avait, en quelque sorte, une demande.
N’importe quelle idée neuve ne pouvait pas y répondre. En outre, elle devait
avoir la plasticité nécessaire pour ne pas trop contrarier les coutumes et
intérêts installés. Par ailleurs, il n’est pas idiot de dire qu’une religion
peut donner la victoire. Certains idéaux déplacent les foules, les inspirent.
Ce qui conduit soit à des conquêtes, soit à des conversions. (Ce qui a été le
cas avec le progrès occidental.) Et elles se maintiennent si l’on ne peut pas,
trop rapidement, leur attribuer quelque malheur. Il y a donc une forme de
sélection naturelle des idées.