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Verso : "Des villes" d'Alexandre Correa

Publié le 23 février 2015 par Francisrichard @francisrichard

Le passage Des campagnes à Des villes se fait donc en mettant le livre sens dessus dessous, à la faveur d'une rotation de 180°. En suivant cette voie manipulatrice, on va de Donzé en Correa, de Tristan en Alexandre. Et l'on se rend compte après les avoir lus tous deux qu'il existe une parenté entre ces récits siamois, lesquels se distinguent certes par le décor, mais se ressemblent par le point de vue poétique porté sur les êtres et les choses, qui de banals deviennent ainsi sublimes ou fantastiques.

Dans Des villes, il n'est pas davantage d'intrigue véritable que dans Des campagnes, même si deux personnages, Léonard et Juan, émergent de ces villes dans lesquelles ils se fondent, et se confondent. Et qu'ils parcourent en poursuivant leurs rêves éveillés, l'un dans le prolongement de regards jetés naguère à l'intérieur d'une boule à neige, l'autre dans le prolongement du spectacle d'automates séculaires, protégés, avant de se livrer à leurs activités mécaniques, par des cubes de verre.

Des villes? D'abord trois continents: une ville suisse, son lycée, ses élèves; Rome, où les élèves de ce lycée font un voyage d'études et où les ruines sont "les restes d'un passé glorieux et grandiose qui illumine encore timidement le présent d'une lumière blafarde"; New-York, "la ville sans âge" avec Manhattan et "sa masse vertigineuse de gratte-ciels collés les uns au autres", avec la Statue de la Liberté, "et au loin l'océan et puis encore plus loin, le reste du monde".

Des villes? Pour finir, une grande ville, aux abords de laquelle "le désert semble vouloir s'engouffrer dans les rues pour effacer les blessures et les cicatrices, pour recouvrir toute vie d'une plaque étouffante, souple et liquide", désert de sable (qui s'insinue partout), encerclé par la forêt, "masse végétale qui grouille de mille vies, chaque arbre abritant un écosystème, petits univers, qui, mis ensemble, forment un nouvel univers".

Léonard est un élève du lycée qui ne veut pas faire d'études: "L'école, ça pue la mort, ça rend con et ça génère un monde merdique. J'ai pas envie de crever à vingt ans! Mort cérébrale et vie de zombie." Alors, après son voyage d'études à Rome, il fuit sa famille et ses proches; se rend à New-York où il lui faut survivre, redécouvre l'océan, à Rockaway Beach, terminus du métro de la cité américaine, où il oublie "le bruit absurde" de son agitation et laisse derrière lui la ville qui "n'existe plus et n'a jamais existé"...   

Le corps de Juan, artiste-peintre de la grande ville, est atteint d'un mal étrange. Sa peau le démange, de plus en plus, et se couvre de plaques grises, de plus en plus. Mais l'esprit de Juan est rongé par un mal peut-être plus fort encore, une angoisse qui croît au fond de lui: "Et s'il était arrivé à la fin de sa créativité? Et si la source s'était tarie? Et s'il n'avait plus rien à dire, plus rien à peindre?". Aussi se sent-il "écrasé par la peur qui naît de ce vide vers lequel il a l'impression d'avancer"...

Des villes apparaît non seulement comme un récit poétique mais aussi comme une interrogation sur le tragique de l'existence, ou son absurdité. Une fois refermé le livre, le lecteur ne se demande plus pourquoi il commence par l'évocation d'un drame, sur lequel l'auteur ne revient d'ailleurs pas par la suite, parce qu'il se suffit à lui-même: "La rumeur tourne et bourdonne. Martine s'est suicidée pendant la nuit. Martine s'est pendue chez elle, dans sa cave. C'est la soeur de Martine, Gwenaëlle, qui a envoyé un SMS à une élève de la classe. Martine s'est pendue et a laissé une lettre d'adieu."

Francis Richard 

Des villes, d'Alexandre Correa, 246 pages, Torticolis et Frères


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