L'article que je publie ci-dessous est paru ce matin dans le journal Libération. Il est signé du collectif des démocrates franco-syriens et en appelle à Bachar Al Assad, le dirigeant actuel de la Syrie. Si je publie cet article, c'est pour faire suite à une conversation que j'ai eue récemment avec une Syrienne domiciliée en France depuis le début des années quatre-vingt. De confession chrétienne, ce médecin reconnaît le caractère dictatorial du régime de Bachar Al Assad mais souligne qu'avec lui, la liberté religieuse était acceptée en Syrie ce qui ne serait évidemment pas le cas avec l'Etat islamique au pouvoir et l'instauration d'un califat totalitaire à tous les échelons de la société. Autrement dit Bachar Al Assad serait un moindre mal pour les Syriens et les occidentaux auraient tort de le privilégier comme adversaire principal. Je ne suis évidemment pas un spécialiste du Moyen-Orient mais je considère que l'appel du collectif des démocrates franco-Syriens est une contribution intéressante au débat en cours. « Les images bouleversent l’opinion internationale. Forcément, elles sont effroyables. Après les journalistes occidentaux, puis japonais, décapités, un pilote jordanien est brûlé vif! Les vidéos de leur exécution sont diffusées sur tous les réseaux et «l’Etat islamique» fait trembler le monde entier. C’était justement son but, il est atteint. Là où il faudrait répondre «Nous n’avons pas peur ! ». Comme dans les manifestations spontanées, le soir de l’attentat du 7 janvier contre Charlie Hebdo, les opinions publiques paniquées, ou des commentateurs peu avisés, désignent Daech comme « le mal absolu ». Une expression qui contient toutes les angoisses que provoque cette campagne de communication par la terreur si bien orchestrée par le groupe djihadiste. Face à ce mal absolu, d’autres horreurs apparaissent négligeables, voire acceptables.
En Syrie, Bachar al-Assad deviendrait «un moindre mal», un partenaire possible aux yeux de certains, y compris en France. Les forces gouvernementales syriennes et les milices pro-Assad sont pourtant cent fois plus meurtrières: elles ont tué 125000 civils depuis mars 2011. Il est vrai que les services syriens ne diffusent pas sur les ondes internationales les images des horreurs qu’ils commettent. Aucune caméra ne filme au quotidien les milliers de morts sous la torture dans les prisons du régime. Aucune communication ne relaie la famine organisée par le pouvoir dans certaines régions assiégées. Il est vrai aussi qu’il ne s’agit que de Syriens. Si Daech est l’ennemi absolu, alors l’impératif pour toute force armée en Syrie est de le combattre prioritairement. L’observation de ce qui s’y passe montre, hélas, qu’il n’en est rien. Malgré la condamnation de l’ONU, les hélicoptères du régime déversent, quotidiennement, des barils de TNT sur les villes syriennes tenues par les groupes de l’opposition: Alep, banlieue de Damas, Deraa, etc. Ils font, à chaque passage, des dizaines de victimes civiles. Ils ciblent les habitations, les écoles, les hôpitaux. Bachar al-Assad peut démentir, comme il l’a fait dans un entretien récent, ces attaques sont documentées et les témoins se comptent par milliers.
Depuis que la coalition a commencé ses opérations, en août 2014 et jusqu’à fin janvier 2015, alors que Bachar al-Assad se présente comme un allié pour combattre Daech, les bombardements du régime et l’ensemble de ses activités répressives ont causé la mort de 6343 Syriens. Depuis le 1er février, 1009 raids aériens ont touché 12 provinces sur les 14 que compte le pays, tuant 270 civils et en blessant 1200. Durant la seule journée du 5 février, les bombardements aériens et les missiles sol-sol ont fait 82morts dans la Ghouta orientale, banlieue de Damas. Dans le même temps, le régime syrien poursuit le siège du quartier palestinien de Yarmouk et du quartier El-Waer à Homs, affamant ses populations. L’armée syrienne déploie autrement moins d’énergie contre Daech. Cible prioritaire pour la coalition internationale, elle est secondaire aux yeux du régime syrien qui a longtemps laissé prospérer l’organisation jusqu’à devenir le monstre d’aujourd’hui.
Il faut rappeler qu’en juin 2011 il libérait de la prison de Saidnaya des prisonniers salafistes et ex-jihadistes dont certains sont devenus des cadres de Daech. Sur le terrain, les affrontements entre les forces du régime et celles de l’Etat islamique sont rares. L’été dernier, sur la base de Tabqa, près de Raqqa, bastion de Daech, le régime a abandonné à leur sort les soldats de son armée. Selon sa stratégie, Raqqane ne fait pas partie du«pays utile» qui lui permet de conserver son pouvoir, il n’a donc pas cherché à le défendre. Assad, Un moindre mal? Chiche!
S’il veut nous en convaincre, qu’il considère Daech comme la cible prioritaire. Nul besoin de réunion à Moscou. Qu’il propose aux groupes de l’opposition armée un cessez-le-feu, et que les deux parties retournent leurs armes contre l’Etat islamique. Qu’il cesse de bombarder les zones civiles et de les assiéger, qu’il mette fin aux arrestations arbitraires et aux tortures, et qu’il concentre l’énergie de ses forces armées et sécuritaires contre l’ennemi désigné par tous. Bien sûr, les groupes de l’opposition devront accepter cette proposition qui suspendra le martyre de la population syrienne, et ils devront retourner eux aussi leurs armes contre l’Etat islamique. Ils l’ont déjà fait avec succès début 2014 en chassant Daech d’Alep et d’Idlib, dans le nord du pays, et plus récemment en participant à la libération de Kobané aux côtés des forces kurdes. L’Etat syrien a la supériorité des armes dans ce conflit, il a les cartes en main, c’est donc à lui de faire le premier pas s’il en a la volonté et la capacité. Un premier pas très concret. S’il refuse cette perspective, il accréditera ce qui a souvent été dit : Daech est l’ennemi utile du régime syrien, un ennemi qui lui permet de se refaire une vertu, un ennemi qui lui est indispensable pour survivre. »
Le Collectif des démocrates francosyriens: BicherHaj Ibrahim ingénieur SalamKawakibi chercheur, Bassma Kodmani politologue, Frédéric Farid Sarkis universitaire Marie-Claude Slick journaliste, ManonNour Tannous chercheuse en relations internationales.
NDLR : le titre est du collectif.