d'après LE LIT de Maupassant
Plus que tout, je tiens à mon lit.
Il est le sanctuaire de la vie.
Je lui livre mon corps fatigué
Et il le repose sous son duvet.
Avec un extrême bonheur,
J’y trouve toujours
Mes plus douces heures
De sommeil ou d’amour.
Le lit est sacré.
Il doit être vénéré
------------------------
Dans un hôtel, en arrivant,
J’inspecte toujours les draps
Et me demande : ’’Qu’ont-ils fait là
Les occupants précédents ? ’’
-------------------------
Un jour, une ancienne amie
M’a adressé ce pli :
’’Mon cher Armand,
Je suis malade et ne quitte plus mon lit.
Avant de vous écrire, je lisais un roman.
Vous dirai-je le titre ?
Non, vous me gronderiez !
Sous ma tête, mon valet a glissé
Deux oreillers. Sur mes genoux, il a posé
Ce joli pupitre
Qu’autrefois vous m’avez donné.
Et tandis qu’une forte pluie bat les vitres,
Je suis confortablement installée
Pour commencer mon épitre.
Ce lit,
C’est toute ma vie.
J’y suis née,
J’ y ai aimé et maintenant j’y meurs.
Que de gracieux bonheurs,
D’aventures émouvantes
D’histoires attendrissantes,
D’enseignements et d’immoralités
Ne pourrais-je vous citer ?
Mon ami,
Vous connaissez mon lit.
En cet instant,
Il me semble habité,
Hanté, usé
Par un tas de gens
Qui, ici, ont laissé
Quelque chose d’eux.
Songez à ceci, mon ami :
Mon lit si spacieux
A contenu bien des vies,
Qu’a-t ’il vu ?
Une jeune femme étendue
Qui gémit.
D’elle, sortait un petit
Crispé, ridé, miaulant.
Des vieux regardaient en tremblant.
C’était la famille prolongée,
L’âme et le cœur prorogés.
Puis se sont retrouvé ici
Deux amants, chair à chair,
Dans ce tabernacle de la vie
…Et le lit s’agitait comme une mer.
Songez aussi à la mort, à ceux
Qui ont ici
Exhalé leur dernier souffle vers Dieu.
Ce lit est mon caveau des espérances finies,
La porte qui se ferme après celle qui
S’ouvre sur le monde. Que de cris,
De souffrances, de gémissements, d’agonies,
De bras tendus vers les choses passées,
D’appels aux bonheurs terminés
Dans ce lit
Qui, depuis trois siècles, a prêté son abri !
Le lit fut
Créé pour l’homme. Pensez à Jésus :
Il est né dans une étable,
Mort sur une croix ;
Il n’a jamais eu besoin d’un lit véritable.
Je suis fatiguée, mon ami
Je vais dormir, je crois.
P.S. Le lit est le symbole de la vie.
Hors du lit, rien d’excellent.
Le sommeil est mon meilleur moment.’’