L'Elégance du hérisson est un livre qui a fait beaucoup parler de lui (c'est d'ailleurs un des livres préférés de Marine). Sans savoir de quoi il parlait et faisant confiance aux nombreux avis positifs, je me suis lancée dans cette lecture. Qu'en ai-je pensé ?
« Je m'appelle Renée, j'ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bourgeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l'image que l'on se fait des concierges qu'il ne viendrait à l'idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants. »
« Je m'appelle Paloma, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons, la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte. Comment est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C'est pour ça que j'ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai. »
« Ainsi, comment se passe la vie ? Nous nous efforçons bravement, jour après jour, de tenir notre rôle dans cette comédie fantôme. En primates que nous sommes, l'essentiel de notre activité consiste à maintenir et entretenir notre territoire de telle sorte qu'il nous protège et nous flatte, à grimper ou ne pas descendre dans l'échelle hiérarchique de la tribu et à forniquer de toutes les manières que nous pouvons - fût-ce en fantasme - tant pour le plaisir que pour la descendance promise » chapitre 12Ce sont donc deux personnages très atypiques que nous propose ici Muriel Barbery. Ils sont inattendus et surtout ne sont pas fidèles à la représentation sociale que l'on se fait d'une concierge ou d'une pré-adolescente issue de la haute bourgeoisie, et c'est cette originalité qui les rend aussi sympathiques à suivre. Ils ont un regard particulier sur le monde qui les entoure et leur entourage, remarquent les petits et gros travers de leurs pairs et ont une attitude assez résignée face à leur environnement. Leur vision acerbe du monde rend leurs paroles pleines d'ironie et d'humour noir, ce qui pourrait donner un rendu très drôle et sarcastique.
Seulement j'ai trouvé dans cette histoire et ces personnages plus d'amertume que d'humour. A force de voir les défauts de leurs voisins, Renée et Paloma sont amères, sombres, acariâtre, presque méchantes.
« La perspective que Pierre Arthens narre ce soir à sa table, au titre de bon mot, l'indignation de sa concierge, parce qu'il a fait mention devant elle d'un incunable et qu'elle y a sans doute vu quelque chose de scabreux, me réjouit fort. Dieu saura lequel de nous deux s'humilie le plus. » chapitre 1Renée, par exemple, est consciente qu'elle ne correspond pas à l'image que chacun se fait a priori d'une concierge. Elle lit Kant, met la télévision en bruit de fond pour rassurer les habitants qu'elle s'inscrit bien dans le rôle de concierge, et j'en passe et des meilleures. Renée est beaucoup plus cultivée qu'une concierge lambda mais se fait un devoir de ne pas le montrer à ses voisins. Soucieuse de préserver les conventions sociales, de rester fidèle au « paradigme de la concierge d'immeuble » et de rester « un des multiples rouages » qui fait « tourner la grande illusion universelle selon laquelle la vie a un sens qui peut être aisément déchiffré », Renée se cache et use de tous les stratagèmes possibles pour dissimuler sa « véritable identité ».
Le problème est que Renée, consciente de ne pas être fidèle à l'image traditionnelle de la concierge, se moque méchamment de ses voisins. Certes, certains d'entre eux sont condescendants et usent d'un ton très malpoli avec elle en la prenant pour une moins que rien, mais non seulement elle-même nous dit qu'ils ne sont pas tous ainsi, mais je pense surtout que personne ne s'est jamais rendu meilleur en étant plein de méchanceté envers les autres.
Au final je n'ai pas trouvé Renée bien différente des habitants de l'immeuble : j'ai même trouvé sa méchanceté d'autant plus frappante et détestable. Elle a une conscience d'elle-même extrêmement juste, mais pour moi la culture ne doit pas servir à flatter l'estime que l'on a de soi mais doit au contraire nous permettre d'être plus tolérant, plus humain, plus compréhensif et indulgent. Très franchement, j'ai parfois trouvé le personnage de Renée insupportable (surtout au début), et bien que je comprenne que le comportement des autres à son égard ne soit pas toujours facile à vivre, j'ai trouvé que ça ne justifiait pas sa méchanceté.
Paloma était pour moi un personnage beaucoup plus drôle. Sa jeunesse lui donne une certaine fraîcheur et son amertume envers le monde qui l'entoure ne m'a pas tellement dérangée. Je l'ai trouvée plutôt normale au contraire : c'est une pré-adolescente qui ne supporte plus ni ses parents ni sa sœur, j'ai plutôt vu dans son attitude une sorte de rébellion prévisible pour son âge. On pourrait tout à fait la voir comme condescendante elle aussi, mais sa jeunesse nous aide à pardonner et à comprendre, et le ton qu'elle emploie a quelque chose d'assez drôle finalement !
Enfin j'y ai quand même vu quelques points positifs ! La forme du roman est notamment intéressante : l'auteur jongle habilement entre l'un et l'autre personnage puisque tout le roman est écrit à la première personne du singulier ; Renée et Paloma prennent la parole de façon alternée. La typographie change d'un personnage à l'autre ce qui rend le tout très compréhensible et la lecture très fluide. Je pense que l'on s'attache assez facilement à ces personnages.
Il y a également quelques belles et intéressantes réflexions à propos de l'art, de la culture et évidemment de la vie.
« Il faut vivre avec cette certitude que nous vieillirons et que ce ne sera pas beau, pas bon, pas gai. Et se dire que c'est maintenant qui importe : construire, maintenant, quelque chose, à tout prix, de toutes ses forces. Toujours avoir en tête la maison de retraite pour se dépasser chaque jour, le rendre impérissable. Gravir pas à pas son Everest à soi et le faire de telle sorte que chaque pas soit un peu d'éternité. » Pensée profonde n°8Au final, j'ai trouvé que ces personnages contribuaient à véhiculer des préjugés plus qu'à les combattre. Le message porté par le livre était très prometteur, les personnages acerbes et tranchants, au ton sarcastique qui peut être assez accrocheur pendant une lecture, mais la promesse n'est pour moi pas tenue. Pendant près de 400 pages, j'ai eu l'impression de suivre de pauvres personnages malheureux d'être trop cultivés, pleins de tristesse et d'amertume. Pas franchement réjouissant.
La fin ne rehausse que très légèrement ce sentiment. La relation entre Renée et Kakuro donne un peu d'espoir mais le personnage féminin reste pour moi désagréable. J'ai détesté cette façon de la faire mourir en héroïne et j'ai trouvé que ça donnait un côté sentimental très malvenu à l'histoire et très superficiel. Elle s'est montrée détestable pendant tout le roman, mais sa dernière action nous donne une image sublime d'elle. Franchement, quelle hypocrisie !
Ce roman est donc une belle petite déception pour moi, et je suis d'autant plus déçue que je me rends compte en écrivant cette chronique que l'histoire se composait de belles petites choses très accrocheuses. Avez-vous lu L’Élégance du hérisson ? Qu'en avez-vous pensez ? N'hésitez pas à me dire pourquoi vous l'avez aimé et ce qui vous a plu dans ce roman !