Magazine Ouest-France mercredi 28 mai 2008
Camille, clown solidaire avec Haïti
Dans la chambre de Camille, des photos de sa famille de l'autre côté de l'Atlantique côtoient celle d'Usher, le chanteur de Rn'B, d'origine haïtienne, comme elle. : Ouest-France
Camille Simon amuse les autres sur scène. Adoptée à l'âge de deux ans, elle récolte de l'argent dans le Maine-et-Loire pour sa famille biologique en Haïti. Et au-delà, pour toute une école. Elle a reçu l'un des grands prix d'Initiatives solidaires. Nez rouge et longues chaussures aux pieds, Camille Simon est le clown Chocolat. Un nom comme sa couleur de peau. La jeune fille de 16 ans a été adoptée en Haïti. « Ma maman m'a gardée avec elle pendant un an et demi. Elle ne pouvait plus m'allaiter », raconte-t-elle, très simplement.
C'est dans la petite commune de Candé, dans le Maine-et-Loire, qu'elle a grandi. Jamais vraiment coupée de ses origines, puisque sa mère Marie-Laure Delhomme a d'abord été conquise par le pays, avant d'y adopter deux enfants. Petit drapeau et artisanat haïtiens égayent les murs de leur maison. Institutrice, Marie-Laure participait là-bas à des sessions de formations d'enseignants avec son association Anjou-Haïti pour la scolarisation.
« Je m'étais dit que les enfants devaient retourner là-bas avant l'adolescence », ajoute Marie-Laure. Camille a alors 9 ans. C'est le grand voyage. « On est parti à treize. Les cousins, les cousines, toute la famille ! » Surtout pour découvrir le pays. « J'étais très contente », se souvient la jeune fille. Des images la marquent : « On se promenait tous ensemble et on a croisé une dame qui voulait nous donner son enfant. Pour elle, nous étions riches. »
Les enfants de Marie-Laure visitent l'orphelinat de Port-au-Prince où ils ont été adoptés. Ils y rencontrent la mère de Camille. « J'étais gênée, raconte-t-elle. Elle est super-timide et ne parlait que créole. » Carline, cette « maman de naissance », avec qui elle vient de faire connaissance, l'invite pourtant chez elle. « Ce n'était pas meublé du tout. Il y avait une table avec deux fruits dessus. Encore maintenant, ils ne mangent pas à leur faim tous les jours ».
Camille découvre aussi ses demi-frères et soeurs. Et se rend compte qu'elle est la seule de tout ce petit monde à savoir lire et écrire. À son retour, elle décide de les aider, de leur trouver les moyens d'aller à l'école. « Je voulais qu'ils ne vivent pas trop dans la misère, qu'ils arrivent à se nourrir et à avoir un métier plus tard. » Comme une grande, elle écrit à de nombreux amis et membres de sa famille pour trouver des parrainages.
L'une d'elle, Anne Goujon, aujourd'hui âgée de 58 ans, lui propose bien plus. Passionnée par les clowns et les mimes, elle l'invite à intégrer un spectacle qu'elle prépare. Ça tombe bien, Camille adore bouger. Elle enfile donc un nez de clown. Le duo Kato et Chocolat est né.
Avec deux spectacles à leur répertoire, elles écument les anniversaires, les fêtes, les écoles ou les arbres de Noël du Maine-et-Loire. Une soixantaine de représentations depuis deux ans. Des succès, mais aussi de sacrés bides. Comme cette fois où elles ont dû mal à dérider une assemblée attablée devant une choucroute ! « Mais nous recherchons toujours des dates », insistent Anne et Camille, très complices. Leur projet : donner une représentation en Haïti, dans l'école où sont maintenant scolarisés ses frères et soeurs.
Car l'argent récolté - quelque 10 000 € depuis 2003 - profite à tous les enfants du collège Notre-Dame-de-Lourdes, en Haïti. Jusqu'à deux-cents élèves y suivent les cours, quand le pays n'est pas trop troublé politiquement. Le fruit des rires angevins bénéficie aussi à un foyer où vivent quarante enfants de 2 ans à 17 ans. Les deux établissements ont été créés par une amie haïtienne de la famille, salariée d'une organisation non gouvernementale.
C'est dans cet univers que la souriante Camille s'est sentie très l'aise, lors d'un deuxième voyage dans son île natale. « Je dormais tout le temps avec les filles du foyer. On allait à la plage ensemble. Et je voyais ma famille et Carline », se souvient-elle, la mine réjouie. « Je ne t'ai pas vue pendant quinze jours ! », s'en amuse encore Marie-Laure.
Avec la distance, les contacts ne sont pas très nombreux. Carline n'a pas le téléphone. Seuls quelques lettres et bulletins scolaires arrivent jusqu'à Candé. Comment vit-on d'avoir deux familles, si éloignées ? « Bien. Ça ne me déstabilise pas », assure la jeune fille, qui aimerait travailler dans le social ou l'humanitaire.
Et Marie-Laure ? « Je ne suis pas jalouse du tout. Cette aventure dans laquelle on s'est lancé est extraordinaire », estime la maman. Camille écoute, regarde sa mère et ajoute : « Pour moi, ce n'est pas si extraordinaire que ça. C'est naturel. »
Marie TOUMIT.
Anjou-Haïti pour la scolarisation, rire ici pour écrire là-bas, 31, rue Brossays-du-Perray, 49 440 Candé.