Quand on reconnait le Bouddha en soi, on se sent bien
Cette question paraîtra étrange à certains. En effet, la conscience est une évidence. Pour ceux-là, inutile de lire ce billet.Mais d'autres se demandent si la conscience est réelle ou bien si elle n'est pas un concept de plus, une création imaginaire, ou si elle n'est pas "vide d'existence propre". En particulier si vous avez fréquenté les enseignements bouddhistes.Mipam, déjà convoqué dans les pages de ce blog à plusieurs reprises, est l'un des penseurs les plus fins parmi les bouddhistes. A la fin du XIXe siècle, il a composé un Rugissement du lion : exposé de la Nature de Bouddha. La Nature de Bouddha, c'est le Bouddha que nous portons en nous, selon certains enseignements bouddhistes qui ajoutent que ce "constituant" (dhâtu) est éternel, indestructible, déjà pleinement constitué, mais caché par l'aveuglement et autres émotions. Cette idée est déjà présente dans un passage qui se retrouvera, avec des variantes, à toutes les époques du bouddhisme :"Ô moines ! L'esprit est claire lumière, mais il est recouvert par des souillures accidentelles" (Soûtra de la Claire lumière)La claire lumière est la conscience fondamentale, inconditionnée, le Bouddha intérieur, indestructible. Les souillures sont l'aveuglement et les passions. La claire lumière est réelle, les souillures sont irréelles.Mais certains se demandent si cette conscience ne serait pas, elle aussi "accidentelle", c'est-à-dire conditionnée, vide, impermanente. Car le Bouddha a dit par ailleurs que "tout est impermanent, tout est dépourvu de Soi, tout est souffrance". Du coup, le chemin bouddhiste, clair au départ, s'est embrouillé à n'en plus finir...Il y a dès lors deux sortes de bouddhistes :- Ceux qui croient que la doctrine de l'absence de Soi, le vide d'existence propre, est le fin mot du Bouddha. Pour eux, l'enseignement est une pure négation, une négation qui ne laisse rien, qui n'implique rien. Un nihilisme où il ne reste plus que l'interdépendance, la causalité, c'est-à-dire la Nature, mécanique, aveugle, impersonnelle. Pour eux, le "silence du Bouddha" suggère ce néant qui, bien sûr, n'est "ni être, ni non-être"...-Ceux qui font preuve de bon sens et s'en tiennent au programme énoncé par le Bouddha dans la citation ci-dessus : éliminer l'illusion pour mettre à nu le réel, la conscience originelle, la claire lumière. Eux aussi parlent de vacuité, mais en deux sens distincts : les choses sont vides de Soi, elles sont irréelles ; le Soi est vide des choses, il est réel.Mipam croit cependant que ces deux approches peuvent être réconciliées. Cela étant, en le lisant et en parcourant les citations d’Écritures bouddhistes qu'il convoque, on s'aperçoit qu'il affirme la réalité de la conscience, du Soi, du Bouddha éternel :- Le Bouddha doit être éternel : "Ô moines parfaits ! Mieux vaut mourir que devenir un non-bouddhiste en disant que le Bouddha inconditionné est un Bouddha conditionné !" (Mahâparinirvânasûtra =mps)- Comme le dit Nâgârjuna lui-même : l'enseignement sur l'absence d'existence inhérente sert à guérir des passions, pas à dénigrer le Bouddha en nous, lequel n'est pas un simple potentiel d'éveil ni une métaphore de la vacuité d'existence propre. Nâgârjuna ajoute : si le Bouddha, la conscience, n'était pas réelle, à quoi bon détruire les passions ? Nul n'ira purifier des minéraux s'il n'y a pas d'or en eux ! (Dharmadhâtustava)- La vacuité comme vide d'existence propre est une impasse : "'Vacuité, vacuité' : vous avez beau chercher, vous ne trouvez rien ! Les Jaïns ont, eux aussi, ce 'rien du tout'. Mais la libération n'est pas ainsi !" (mps) "Ceux qui sont attirés par cette vacuité sont comme des papillons attirés par la flamme d'une bougie !" (mps).- Si la claire lumière était le produit de causes et conditions, il s'ensuivraient qu’elle ne serait pas un refuge, il n'y aurait pas de Non-né pour ce qui est né, pas de guérison possible, pas d'issue. Même au plan mondain, il n'y aurait pas d'action morale possible : qui agirait, et pour qui ?- La vacuité comme simple négation est une imposture du bouddhisme : "Sans aspirer au vrai, mais cherchant le bien, ceux qui sont sans maîtrise d'eux-mêmes prétendent qu'ils s'exercent à l'esprit d'(éveil). Un jour, ils viendront, ces gens qui se délectent à dire que 'tout est vide'" (Jnânamudrâsamâdhisûtra). Et alors le dharma du Bouddha déclinera.- Dire que le Bouddha est éternel est méritoire : "Les fils et filles de bonne famille doivent toujours affirmer, l'esprit concentré, ces deux phrases : 'Le Bouddha est permanent. Le Bouddha demeure". Et "Qui persévère à voir que l'Inconcevable est permanent devient un refuge (pour autrui)" (mps).- Ce qui est réel mérite d'être appelé "Soi" : "Le 'Soi' est la véritable permanence de ce qui est vrai/réel. Ce qui est souverain (îshvara), immuable et immobile est appelé 'Soi'" (mps).- Il ne faut pas avoir honte de proclamer l'éternité de la conscience éveillée : "Rugir comme un lion, c'est déclarer sans ambiguïté que tous les êtres ont du Bouddha en eux et que le Bouddha est toujours présent et immuable" (mps). Et : "Rugir comme un lion, ce n'est pas professer que tous les phénomènes sont impermanents, sont souffrance, sont sans Soi et impurs ; c'est seulement professer que le Bouddha est permanent, bienheureux, qu'il est le Soi, qu'il est pur" (mps). - La Nature de Bouddha n'est pas l'absence d'existence propre car, dit Mipam, on peut concevoir qu'une graine germe en une fleur. Mais comment l'absence d'existence de la graine pourrait-elle engendrer la fleur ? Du reste, cette vacuité négative n'est rien. Une simple absence. Comment une absence pourrait-elle avoir la moindre efficience ? Comment un néant pourrait-il engendrer un Bouddha éternel ?-L'inconditionné ne peut provenir du conditionné : le conditionné engendre seulement du conditionné. L'enseignement ultime du Bouddha, rassemblé dans Le Livre ultime (Uttaratantra) et dans le Soûtra de la guérison totale (Mahâparinirvânasûtra) dit que la connaissance suprême consiste à connaître le vrai comme étant vrai, le faux comme étant faux, l'existant comme étant existant, et le non-existant comme étant non-existant. L'existant, c'est la conscience, la claire lumière, le Bouddha en nous. L'inexistant, ce sont les phénomènes qui semblent exister sous l'effet de l'aveuglement et des passions.- Il dit ensuite que le Bouddha est bien "vide", que la conscience est "vide d'essence", mais il précise que "vide d'essence" veut simplement dire qu'elle est inconcevable, illimitée, qu'elle n'est ni une chose faite de matière, ni une simple idée. C'est quand même clair, non ?La conscience existe réellement veut dire que rien n'est possible sans elle, en dehors d'elle. Et que donc tout est illusion et irréel sans elle, dans l'oubli d'icelle, tant que l'on croit que les choses existent en dehors de la conscience. "Vide" veut dire simplement que la conscience n'est pas quelque chose avec une forme et une couleur, et qu'elle dépasse toutes les définitions et descriptions que l'on peut en faire. Mais cela ne veut pas dire qu'elle est le produit de causes et de conditions, qu'elle est dépendante, impermanente, illusoire ou erronée. Elle est la conscience toujours présente, sans erreur ni illusion. Elle est ce qui lit ces lignes, "cachée" par un regard extraverti, simplement voilée par le fait qu'elle ne se regarde pas, qu'elle ne se reconnait pas elle-même. Dès que le regard se retourne, hop ! Nulle trace d'irréalité en elle-même. Simple et inconcevable, elle est naturelle, facile, aisée, à l'aise, fraîche, limpide, transparente, d'une richesse inépuisable. Elle est non-duelle, non-deux : elle est celui qui la cherche et elle n'est séparée de rien. "Vide", elle est vide de toute limite. "Pleine", elle est la Source de tout. Claire comme le jour.Source : Mipam on Buddha-Nature, D. S. Duckworth, p. 147Bon weekend !Puisse le soleil du Bouddha briller en nous !