Avec le 49 alinéa 3, la course d’obstacles n’est pas pour autant terminée
pour la loi Macron, car il y aura le débat au Sénat puis le retour en seconde lecture, qui promet également une nouvelle guerre de positionnements.
Conformément à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, le
projet de loi Macron est donc considéré comme adopté en première lecture, mais il faudra qu’il aille devant les sénateurs (probablement le 7 avril 2015), qui l’amenderont certainement, et revenir
en seconde lecture à l’Assemblée Nationale.
Redisons clairement que cette procédure qui paraît assez expéditive (adoption sans vote) n’a pas été
expéditive du tout dans le cas de la loi Macron puisque ce projet de loi, certes très mal construit (plein de mesurettes sans queue ni tête) qui n’aura pas une influence notable dans l’économie
française, a quand même bénéficié de deux cents heures de débat à l’Assemblée Nationale, en commission et en séance publique, et que le gouvernement avait montré (inutilement donc) une certaine
écoute en acceptant des centaines d’amendements.
Néanmoins, pratiquement tous les partis politiques (sauf un, suivez mon regard) ont fait preuve de nombreuses incohérences dans le vote ou le rejet de cette motion de censure.
L’article 49 alinéa 3 et les socialistes
Depuis "Le Coup d’État permanent" (1964) de François Mitterrand, brûlot contre les institutions de la Ve République dans lesquelles, finalement, il s’est glissé très aisément pendant quatorze ans (le
record de longévité en République), les socialistes n’avaient cessé de critiquer l’application de cet article 49 alinéa 3 même si, au pouvoir, ils l’ont appliqué près de quatre fois plus souvent
que leurs opposants.
Ainsi, c’est tout logiquement que lorsque Dominique de
Villepin a brandi cette procédure pour le vote du CPE le 9 février 2006, François Hollande, en tant que premier secrétaire du PS et donc, chef
de l’opposition, a violemment protesté : « Malgré ce passage en force, nous poursuivrons le débat parlementaire. Le 49.3 est une brutalité, le
49.3 est un déni de démocratie, le 49.3 est une manière de freiner ou d’empêcher le débat parlementaire. », n’hésitant pas à parler de « violation des droits du Parlement ».
Le 18 juillet 2007, en préparation de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, François Hollande, toujours chef du PS, a ainsi proposé la suppression de cette arme
institutionnelle : « Tout ce qui concourra à l’affermissement des pouvoirs du Parlement aura notre agrément. Suppression de l’article 49.3, du
vote bloqué, de la procédure d’urgence, possibilité pour les assemblées de fixer pour partie leur ordre du jour, (…). ».
Le 19 mai 2008, lorsque le débat sur la révision constitutionnelle a commencé, Manuel Valls a déposé un amendement pour supprimer l’article 49 alinéa 3 (amendement n°501 du texte n°820). Il fut également déposé par André
Vallini, aujourd’hui membre du gouvernement, et Bruno Le Roux, actuel président du groupe PS à l’Assemblée Nationale.
Mais, c’est un peu facile de revenir sur les déclarations anciennes pour mettre des responsables politiques
devant leurs contradictions. C’était d’ailleurs plus facile de jouer à ce petit jeu avec Jacques Chirac
durant sa longue carrière. Car finalement, qui peut critiquer sérieusement un pouvoir d’utiliser tous les outils constitutionnels dont il dispose ? Seulement ceux qui seront sûrs de ne
jamais exercer le pouvoir. Et les imprudents. Car il faut bien gouverner.
Et d’ailleurs, revenons à la genèse de cet article 49 alinéa 3. Contrairement à ce que certains croient, il
n’est pas d’origine gaullienne. Pas du tout. De Gaulle avait deux obsessions lors de la rédaction de la nouvelle
Constitution durant l’été 1958 : le droit de dissolution et la possibilité de faire des référendums sur tous les sujets, et notamment les projets de loi rejetés par l’Assemblée
Nationale. Il se moquait assez des dispositifs d’engagement de confiance du gouvernement devant les députés.
Ce sont ses deux ministres d’État, chargés d’élaborer le futur texte constitutionnel conjointement à
Michel Debré, qui proposèrent ce dispositif : le centriste Pierre Pflimlin et surtout le socialiste
Guy Mollet (secrétaire général de la SFIO).
Guy Mollet et Pierre Pflimlin avaient repris une partie de deux précédents projets de réforme
constitutionnelle, la proposition de loi constitutionnelle n°3802 déposée le 17 janvier 1957 par Paul Coste-Floret et le projet de révision constitutionnelle n°6327 déposé le 16 janvier 1958 par
Félix Gaillard (à l’époque Président du Conseil) qui fut voté après modification par l’Assemblée Nationale le 21 mars 1958.
Mais De Gaulle n’a pas obtenu satisfaction sur les possibilités référendaires, très limitées par l’article 11
de la Constitution, tandis que Michel Debré avait présenté un système assez compliqué de confiance régulière et obligatoire, ce qui aurait rendu inutile le dispositif très violent du futur
article 49 alinéa 3.
Finalement, c’est le MRP qui a imposé à De Gaulle ce mécanisme, condition sine qua non exprimée par
Pierre-Henri Teitgen pour le oui du MRP au référendum de ratification, car c’était le remède le plus efficace contre l’instabilité gouvernementale (chronique) : « Je voterai l’article [49] tel qu’il est proposé par le gouvernement et, sans crainte d’aggraver mon cas, je dirai même que le maintien de ces dispositions
sera probablement l’un des éléments déterminants, pour mes amis, ceux sur lesquels je peux avoir quelque influence, et pour moi, dans nos décisions sur le référendum. » (séance du 13
août 1958 du Comité consultatif chargé de rédiger la Constitution). Le dispositif a donc été accepté par De Gaulle pour préserver un large consensus au référendum malgré l’opposition de Michel
Debré et de Paul Reynaud (ce dernier craignant que la procédure encourageât la multiplication des renversements de gouvernement).
Ce système a tellement montré son efficacité que c’est le gouvernement socialiste de Lionel Jospin qui l’a décliné également pour les exécutifs régionaux, par la loi du 7 mars 1998 et la loi du 19 janvier 1999, afin
de permettre de faire adopter le budget chaque année au sein de conseils régionaux qui pourraient être bloqués faute de majorité.
L’UMP et l’UDI
La décision de l’UMP et de l’UDI de déposer et donc de voter une motion de censure après l’application de
l’article 49 alinéa 3 sur la loi Macron peut paraître étonnante dans la mesure où la loi Macron, bien qu’un peu fourre-tout, allait dans le sens d’une libéralisation plus grande de la vie
économique. À tel point que certains députés comme Hervé Mariton, par exemple, aurait voté favorablement s’il y avait eu vote mais il a voté la motion de censure.
L’opposition a voulu surtout sanctionner le gouvernement sur sa méthode complètement incohérente, puisque ce
dernier a toujours refusé de bâtir ce projet de loi en concertation avec elle.
L’exposé de la motion de censure est très clair : « Comme
nous l’avons dénoncé tout au long de l’examen de ce projet de loi, celui-ci n’est qu’une compilation de mesures hétéroclites qui ne libèrent ni le travail, ni l’investissement, ni l’activité. Ce
projet de loi est à l’image de l’action du gouvernement depuis 2012 : aucune réforme de structure ; des revirements incessants au détriment de l’emploi et de la compétitivité ; des
choix qui annihilent toute chance de reprise alors que la croissance frémit en Europe. (…) Plutôt que de réformer la fiscalité des sociétés et des ménages, le gouvernement réussit la prouesse
d’augmenter à la fois les impôts et les déficits. Plutôt que de construire la France de demain, le gouvernement mène une politique qui assombrit les perspectives de sa jeunesse. » (17
février 2015).
Mais personne n’évitera de voir dans cette riposte une part de politique politicienne sur un sujet qui aurait
dû rassembler plus de 80% des parlementaires sur des mesures parfois de bon sens ou même plus réglementaires que législatives.
C’est ainsi le sens qu’il faut donner à la réaction de Nicolas
Sarkozy, président de l’UMP : « La vérité éclate au grand jour : il n’y a plus ni majorité ni gouvernement. » en n’hésitant
pas à insister sur une campagne présidentielle qui lui a laissé un goût amer : « Le recours au 49.3 est la conséquence des mensonges répétés de
François Hollande. ».
De son côté, François Bayrou, qui n’est plus député, a
annoncé qu’il n’aurait pas voté la motion de censure, mettant en difficulté, au sein de l’UMP, Alain Juppé qu’il soutient par ailleurs.
Le PS et ses "frondeurs"
L’incohérence est aussi grande chez les "frondeurs" du PS que chez les députés de l’UMP prêts à voter pour la
loi Macron. Ces députés à cause desquels l’article 49 alinéa 3 est sorti ne voteront pas la motion de censure alors qu’ils voulaient voter contre la loi Macron et que certains n’avaient même pas
voté la confiance au gouvernement de Manuel Valls. Pourtant élus grâce au fait majoritaire en juin 2012, il est étrange que si peu de discipline n’existe au sein du parti majoritaire.
Stéphane Le Foll avait quand même mis en garde le 18 février 2015 : « Celui qui voterait la censure n’a plus sa place au Parti socialiste. » (Europe 1). Ce serait le minimum. Lorsqu’on ne vote ni la confiance, ni le
budget, ni l’une des lois majeures pour le gouvernement, comment peut-on encore rester dans la majorité ? La guérilla parlementaire du RPR entre 1976 et 1981 contre les gouvernements de
Raymond Barre paraît très douce par rapport à ces "frondeurs".
Martine Aubry
semblerait se trouver derrière cette mini-fronde et l’objectif de Benoît Hamon, pourtant grassement
récompensé pendant deux ans et demi au sein du gouvernement, serait de conquérir le poste de premier secrétaire en juin prochain.
Le spectacle est déplorable, qui montre aux citoyens des députés plus soucieux des délices et manœuvres d’un
congrès socialiste que du devenir d’environ dix millions de Français à la recherche d’un emploi stable.
Mais chez les "gouvernementaux" du PS, la cohérence n’est pas non plus de mise. Pour justifier sa décision le
17 février 2015, Manuel Valls a déclaré aux députés : « Une majorité existe vraisemblablement sur ce texte mais elle est incertaine. Dès lors,
je ne prendrai aucun risque, je ne prendrai pas la responsabilité du risque d’un rejet d’un tel projet que je considère comme essentiel pour notre économie. (…) La gauche gouverne. Elle doit
assumer ses responsabilités. Elle doit les assumer pleinement, et ce gouvernement assume donc pleinement et totalement ses responsabilités. Nous le faisons pour le pays, pour l’intérêt
général. ».
Puis, à l’issue du vote le 19 février 2015, Manuel Valls a conclu la "séquence" parlementaire ainsi :
« L’autorité, c’est assumer ses responsabilités quand l’intérêt supérieur de la Nation l’exige. ».
Quand on sait le faible impact économique qu’aura la loi Macron, on se croit dans une scène surréaliste. Tout
laisse croire que ces postures, sur le dos des Français, ont pour seul but d’aborder un congrès dont tout le monde se moque.
Les députés écologistes
La cohérence politique a quitté depuis longtemps ce petit groupe de députés qui ne doivent leur élection qu’à
la seule bienveillance du Parti socialiste. Ils ont pourtant préféré quitter le gouvernement l’an dernier et Cécile Duflot serait même dans l’optique d’un rapprochement avec le Front de gauche alors qu’un autre clan, plus modéré et
réaliste, aurait bien voulu quelques ministères, comme François de Rugy, Jean-Vincent Placé ou encore
Barbara Pompili.
Paradoxalement, ceux-ci se considèrent encore dans la majorité, d’où leur refus de voter la motion de
censure, mais ils ont rejeté la loi de finances 2015, l’acte politique majeur pour définir le positionnement entre majorité et opposition, et ils auraient voté contre la loi Macron en cas de
vote.
Éviter une candidature écologiste à l’élection présidentielle de 2017 va être très délicat voire mission
impossible pour PS. Pourtant, ce serait indispensable pour se qualifier au second tour et empêcher la déconvenue de Lionel Jospin le 21 avril 2002. Ce qui est complètement incompréhensible pour les électeurs, c’est que cela ne empêche pas le PS et les Verts de
faire alliance pour les élections départementales du mois prochain.
Les députés communistes
La palme de l’incohérence doit cependant être remise aux députés du Front de gauche, essentiellement
communistes, menés par André Chassaigne qui aurait bien voulu être candidat à l’élection présidentielle de 2012. En effet, les communistes ont surpris en annonçant qu’ils voteraient la motion de
censure : « Le gouvernement nous prive de vote par un coup de force (…). Donc, nous voterons pour la motion de censure, parce que c’est le seul
moyen que l’on a pour nous opposer à la loi Macron et c’est dans la continuité de notre refus d’accorder la confiance à Manuel Valls. ».
Jean-Luc Mélenchon, qui n’est pas député, a contesté un tel positionnement : « Qu’est-ce qu’on
va se fourrer avec la droite dans une aventure pareille ? J’aurais proposé aux frondeurs et aux écologistes une motion de censure pour montrer que si le gouvernement est désapprouvé, il
l’est pas la gauche. » (18 février 2015).
Cette prise de position du groupe communiste ne manque pas d’être cocasse. En effet, les communistes ont donc
approuvé ce 19 février 2015 le texte de la motion de censure rédigé par l’UMP et l’UDI qui proclame entre autres : « Sans réforme de l’État,
sans réforme de nos régimes de retraites, sans réforme de la protection sociale, sans réforme du code du travail, sans réforme du paritarisme, ce texte a minima est une occasion manquée de mener
le redressement de notre pays, à l’image de nos partenaires européens qui, eux, se sont déjà engagés dans ces réformes. » (texte déposé le 17 février 2015).
Six des dix députés communistes ont suivi André Chassaigne dans le vote de la motion de censure. Ce n’est pas
la première fois que le groupe communiste a voté une motion de censure contre un gouvernement socialiste en se joignant à la droite et au centre. La fois précédente, c’était le 27 mai 1992 où
l’UDF, le RPR et le PCF avaient failli réussir à renverser le gouvernement de Pierre Bérégovoy, il leur
a manqué… trois voix seulement. C’était à l’époque pour s’opposer à la réforme de la politique agricole commune.
Le spectacle déplorable de la vie politique
Tout ce jeu de rôles et de postures donne un arrière-goût assez glauque, celui de donner prise à
l’antiparlementarisme en faisant croire que les députés ne sont focalisés que sur leur propre intérêt partisan sans se rendre compte que dans le pays, une proportion de plus en plus grande de
citoyens ne supportent plus ce décalage d’attention.
Mais s’il y a bien une responsabilité dans cette situation-là, c’est bien le discours du Bourget que le
candidat François Hollande a prononcé le 22 janvier 2012, avec beaucoup d’éloquence, pour faire croire qu’il était de gauche.
Le problème de cette
élection présidentielle, c’est qu’il faut mener une campagne démagogique pour se faire élire. D’ailleurs,
c’est le plus efficacement démagogique qui gagne. La "force tranquille" de François Mitterrand en 1981, la "fracture sociale" de Jacques Chirac en 1995 et le "travailler plus pour gagner plus" de
Nicolas Sarkozy en 2007 ont été des slogans redoutables. François Hollande a berné ses électeurs et la grande question très pessimiste, ce pourrait être : qui bernera les Français en
2017 ?
À moins qu’un jour, comme ce fut le cas dans un passé déjà lointain, un peuple rencontre un candidat qui lui
dit enfin la vérité et qui arrête de lui promettre la lune…
Aussi sur le blog.
Sylvain
Rakotoarison (20 février 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L'auto-enfermement de Manuel Valls.
Changement de
paradigme.
François
Hollande.
Manuel
Valls.
Emmanuel
Macron.
Travail le
dimanche.
Mathématiques
militantes.
2017, tout
est possible…
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-incoherences-de-la-motion-de-163897