Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu de roman épistolaire, mais j'avais un très bon souvenir (voire excellent - il s'agit d'un de mes romans préférés) des Liaisons dangeureuses de Choderlos De Laclos. C'est pourquoi les Lettres Persanes de Montesquieu me faisaient un peu de l'oeil, curieuse de mieux connaître le genre épistolaire...
Rien n'a plu davantage dans les lettres persanes, que d'y trouver, sans y penser, une espèce de roman. On en voit le commencement, le progrès, la fin : les divers personnages sont placés dans une chaîne qui les lie. A mesure qu'ils font un plus long séjour en Europe, les moeurs de cette partie du monde prennent, dans leur tête, un air moins merveilleux et moins bizarre : et ils sont plus ou moins frappés de ce bizarre et de ce merveilleux, suivant la différence de leurs caractères. Dans la forme de lettres, l'auteur s'est donné l'avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale, à un roman ; et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue.
Montesquieu nous propose ici quelques lettres échangées entre des perses en voyage à Paris et les membres de leur entourage restés en Perse. Alors que les premiers racontent surtout dans leurs courriers leurs expériences et les coutumes du pays qu'ils visitent, les seconds communiquent à leur maître des nouvelles de leur foyer. Car Usbek et Rica vivent dans des sérails : des harems dans lesquels sont regroupées les épouses et les concubines... et sans leurs maîtres, les femmes et les eunuques (leurs « gardes ») ne sont plus aussi sages qu'à l'accoutumée !Evidemment, Montesquieu profite de la voix d'un personnage étranger pour se moquer des français. La politique, les préjugés, les habitudes... tout ce qui passe sous les regards d'Usbek et de Rica est prétexte à la satire. Cela donne d'ailleurs lieu à quelques passages assez drôles car faussement naïfs, comme celui de la lettre XXX. Rica y raconte à Ibben qu'il a été l'objet de la curiosité et de la convoitise des parisiens (« je fus regardé comme si j'avais été envoyé du Ciel », « je trouvais de mes portraits partout », dit-il) jusqu'au moment où il a cessé de porter l'habit persan « j'entrai tout à coup dans un néant affreux ». Cessant d'être la représentation d'un persan, les parisiens se désintéressent de lui et ne lui trouvent plus d'intérêt : ces derniers nous apparaissent alors comme superficiels et dédaigneux.
« J'allai l'autre jour dans le lieu où se rend la justice. Avant d'y arriver, il faut passer sous les armes d'un nombre infini de jeunes marchandes, qui vous appellent d'une voix trompeuse. Ce spectacle, d'abord, est assez riant ; mais il devient lugubre lorsqu'on entre dans les grandes salles, où l'on ne voit que des gens dont l'habit est encore plus grave que la figure. Enfin, on entre dans le lieu sacré où se révèlent tous les secrets des familles, et où les actions les plus cachées sont mises au grand jour. » lettre LXXXVI
Les lettres utilisent d'ailleurs souvent le même procédé : une première phrase accrocheuse intrigue le le destinataire de la lettre et témoigne de la naïveté de son destinateur « Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. » (lettre XXX), « Chez les peuples d'Europe, le premier quart d'heure du mariage aplanit toutes les difficultés » (lettre LV), « J'entrai l'autre jour dans une église fameuse qu'on appelle Notre-Dame. » (lettre LXI).
Un premier paragraphe nous présente ensuite l'avis ou le jugement du perse de manière très factuelle. Les perses nous exposent de manière très simple leurs préjugés pour mieux nous étonner ensuite, car les paragraphes suivants viennent ensuite décomposer les préjugés des perses en tournant en dérision l'attitude des français. Si Montesquieu abolit ainsi les préjugés des perses, c'est pour mieux mettre en évidence ceux des français !
Mais en se moquant ainsi des parisiens, c'est plus généralement de l'Homme dont se moque Montesquieu. Le voyage des perses en France n'est selon moi qu'un moyen de montrer qu'il ne suffit que d'un regard neuf sur quelque chose qui nous paraît évident pour en révéler les incohérences et le ridicule.
« Tout le peuple s'assemble sr la fin de l'après-dînée et va jouer une espèce de scène que j'ai entendu appeler comédie. Le grand mouvement est sur une estrade, qu'on nomme le théâtre. Aux deux côtés, on voit, dans de petits réduits qu'on nomme loges, des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse. » lettre XXVIII
Parallèlement aux comptes rendus des perses sur leur voyage, on suit également l'intrigue qui se déroule en Perse puisque les eunuques continuent d'informer leurs maîtres sur les événements du sérail. Et ces événements ne sont pas de tout repos ! Rebellions, fugues, agressions... La panique se fait ressentir et donne un côté assez drôle et grotesque au roman. L'occasion pour Montesquieu de montrer de manière habile que malgré tous les défauts que l'on peut remarquer à l'extérieur de chez soi, on n'en n'est pas non plus totalement préservé...
Vous le savez peut-être déjà, mais j'ai été assez déçue de ma lecture des Lettres persanes. Je crois que j'attendais trop de ce roman, et que la comparaison avec Les Liaisons dangereuses (un autre roman épistolaire et un de mes livres préférés) était vouée à l'échec. Je n'y ai pas retrouvé ce que j'avais tant aimé dans le roman de Choderlos de Laclos : les sentiments des personnages, leurs émotions en lettres, la manipulation, l'angoisse de voir des événements se produire... Les Lettres persanes ne sont pas fougueuses ni chargées d'émotion, je les aie trouvées au contraire beaucoup plus journalistiques, épurées et plates. Le style de Montesquieu est très intéressant et habile, la satire est un procédé que j'admire beaucoup mais qui ne me transmet pas d'émotion et ne me fait pas vibrer. Oui, c'est une oeuvre intéressante remise dans son contexte (celui des Lumières) et du point de vue de la forme. En revanche, je n'y ai pas trouvé ce que j'attends d'un roman : qu'il me fasse rêver, grandir, réfléchir et qu'il me chamboule.
D'ailleurs, je traverse un peu une « panne de lecture classique » en ce moment : les classiques que je lis ne me plaisent pas vraiment en ce moment, et je n'ai pas d'inspiration ni de motivation de ce côté-là... Alors n'hésitez pas à me conseiller des titres classiques de maximum 400 pages que vous avez adorés pour me donner quelques idées !
Et vous, y a-t-il un classique qui vous a déçu ? Que pensez-vous des Lettres persanes ?