Poezibao tient à attirer l’attention sur la revue Fario, dont le devenir est menacé par la suppression de la subvention que lui accordait le CNL. Au motif que la diffusion n’est pas assez importante. Une fois de plus le chiffre est privilégié par rapport à la lettre. Fario est une des plus remarquables et importantes revues du paysage contemporain.
On retrouve au sommaire de ce numéro 14 dont on espère que ce ne sera pas le dernier une suite de notes de Claude Mouchard, dont voici quelques extraits.
nulle beauté – cette aube à travers les branches brunes-bleutées – ne s’impose (évidence claire comme le jour) que vibrant en une imminence injustifiable ;
mais aujourd’hui…
le mutisme de la beauté
(dans les choses faites de main d’homme ou non, ou à demi : mélange-alliance qu’est le jardin)
est-il autre qu’il ne fut jamais… ?
ce silence du beau se ferait-il, ce matin, irréversiblement hostile ?
est-il le prodrome de ce qui va arriver à la réalité ?
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alors, en retrait, faisant s’enrouler le temps, qu’est-ce qu’elles chantonnent au lever du jour les bribes de jouets de jadis en bois ou métal ou plastique – petites roues, bouts de papier collé, assemblages disjoints – en voie d’être rendues aux granulosités du sol ?
et, pour les disjoindre, de tendres pousses sans nom (celles d’arbustes qui porteront l’année prochaine des fruits globuleux blancs)
et encore, sous le noyer, sous les lilas
moussent de minuscules mystères
que serait-il donc le monde, si jamais privé
De l’humide et du sauvage ?
Hopkins
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temps timide-cruel des plantes = temps des phrases ?
des phrases jamais assez ou toujours déjà trop réalisées…
qu’est-ce qui rend inévitable qu’il en soit ainsi ?
des végétaux semblent avorter juste au-dessus du sol
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substance noir des coques de noix pourrissantes, graviers oranges qui scintillent au lever du jour –
là se nourrissent d’aveugles phrases-animalcules : elles ne cesseront de se reformer et de se réaliser autres qu’elles-mêmes (et parfois contre elles-mêmes venimeuses
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les fragments de De Signoribus (publiés dans Po&sie) « sur » Lampedusa (les corps vivants des clandestins qui émergent de l’océan et de la nuit, et les cadavres ballotés rejetés) réagissent bien entendu à des informations
n’ont pu être écrits que sous le coup de « choses vues » par photos (journaux), télé, internet : surfaces tremblotantes qui happent-brûlent l’imagination
mais à quoi bon là, des phrases-poèmes ?
« à quoi bon ? » : cette question est constitutive de la poésie, elle est le battement du poème (qui peut à tout instant n’avoir jamais été) au milieu de tout le reste
les phrases de De Signoribus font qu’il arrive substantiellement quelque chose à cette question.
Claude Mouchard, « Tout ça c’est du temps », in revue Fario, n° 14, pp. 119, 122, 139
Claude Mouchard dans Poezibao :
bio-bibliographie, ext. 1, journée Maison de la poésie 2011, feuilleton Et si c’était cela vivre, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 ; feuilleton avec la peau d’une autre vie : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, note création,
sur la revue Fario, voir ici.