Décès du poète et écrivain : Malek Alloula Un aède "rurbain"
Onze jours après le décès de son ex-épouse, l'écrivaine Assia Djebar, Malek Alloula, le frère du dramaturge Abdelkader Alloula, le poète, essayiste, critique et nouvelliste, l'auteur de Villes et autres lieux, est décédé, hier, à Berlin (Allemagne), où il était en résidence d'écriture. Il avait 78 ans.
Malek Alloula, celui qui taquinait la muse des "monts Chenoua", Assia Djebar, son ex-épouse, - ils s'étaient mariés en 1981-, ce trouvère d'expression francophone déclamant et déclarant sa flamme à sa ville natale, Oran, à Alger, à l'Algérie, était ce témoin oculaire à charge des interstices fleurant bon l'humus et le terroir. Et ce, de par un trait cursif foncièrement recherché et immanquablement rare. Car d'une beauté littéralement littéraire. Dans le recueil de poésie intitulé Villes et autres lieux, Malek Alloula est un barde "torturé", sensible et d'une grande humilité.
Malek Alloula est né le 13 novembre 1937 à Oran. Un enfant terrible de Aïn El Berd, village situé à 25 km de Sidi Bel Abbès et de M'dina J'dida, le quartier populaire d'Oran. Son premier jet au courant de sa plume juvénile fut un poème intitulé Petit cireur mon frère.
Et ce, quand le président Ben Bella mit fin, en 1963, à l'exercice du métier de petits cireurs de chaussures en les exhortant à aller à l'école. Déjà une conscience, un talent brut de décoffrage. Elève de l'Ecole normale supérieure, études de lettres modernes à la faculté d'Alger, ensuite à la Sorbonne, à Paris, avec un sujet de thèse portant sur Denis Diderot et le XVIIIe siècle. Il poursuivra des activités éditoriales à Paris depuis 1967. Après l'assassinat de son frère, le grand metteur en scène Abdelkader Alloula (El Khobza, Legoual, El Ajouad ), le 10 mars 1994, Malek Alloula fera la promotion et la vulgarisation de ses œuvres à travers une association éponyme dont il était le président.
Malek Alloula est considéré par ses pairs comme un acteur majeur de la poésie algérienne, un de ces écrivains pratiquant une écriture exigeante, élégante, sobre et inédite. Et de surcroît authentique et avec un je ne sais quoi de minéral. Car il revendiquait fièrement sa "paysannerie". Il est l'auteur notamment d'ouvrages comme Le Harem colonial, images d'un sous-érotisme (essai illustré de photographies), Alger photographiée au XIXe siècle (avec Khemir Mounira et Elias Sanbat), Belles Algériennes de Geiser, costumes, parures et bijoux (L'autre Regard , commentaires de Leyla Belkaïd) Marval, Les Festins de l'exil (essai), L'Accès au corps (poèmes), Alger 1951 ou encore Un pays dans l'attente (photographies d'Etienne Sved, textes de Malek Alloula, Maïssa Bey, Benjamin Stora, Manosque).
Les éditions Barzakh ont réédité les recueils de poésie Mesures du vent, Villes et autres lieux Rêveurs/Sépulture et mesure du vent et publié un inédit, un recueil de nouvelles intitulé Le Cri de Tarzan : dans un village oranais, un questionnaire et questionnement philosophique et mnémonique dans une "cour des miracles", à la périphérie de la société et d'Oran. "C'est l'un des plus grands poètes francophones algériens avec Jean Sénac. Un type merveilleux. Décéder quelques jours après son ex-femme, Assia Djebar, c'est triste ! Je suis très touché et affligé par le décès d'un grand ami...", témoignera l'écrivain Rachid Boudjedra. "Il pousse la fidélité à ce point ? C'est un drame ! C'était quelqu'un de très sensible, spirituel...Un très grand admirateur de Denis Diderot. Je ne trouve pas les mots.
J'ai le souffle coupé. C'est toute une jeunesse soixante-huitarde qui part. Il était d'une grande fidélité légendaire avec ses amis. Il était aussi un grand cinéphile. Je le croisais souvent à la Cinémathèque d'Alger. Je suis bouleversé ! C'est une génération perdue et sacrifiée...", se souviendra le penseur et universitaire Mohamed Lakhdar Maougal. "Juste après Assia Djebar, c'est incroyable ! C'était un ami. C'est une grosse perte. J'aime ce qu'il a écrit. Peut-être qu'on n'a pas donné assez d'importance à ses œuvres. En les présentant à la jeunesse. Il avait des valeurs, un idéal à transmettre. Il n'est jamais trop tard...", saluera sa mémoire la poétesse Zineb Laouedj.
K. Smail
Malek Alloula : "Une certaine Algérie est en train de disparaître"
Encore une perte : mardi 17 février, Malek Alloula, "poète complet", pour reprendre Amin Zaoui, décède à Berlin.
"Quelques jours après le décès d'Assia Djebar, ce monument littéraire qui était jadis son épouse, Malek Alloula, la suit et nous laisse bouleversés." L'écrivain Amin Zaoui, qui a connu le poète, décédé mardi dernier à l'âge de 77 ans, est encore sous le coup de l'émotion. L'homme de lettres, que ses amis décrivent "humble, timide et surtout généreux", se trouvait en résidence d'écriture à Berlin où il bénéficiait d'une bourse à l'Office allemand d'échange universitaire (DAAD).
Son ami, l'écrivain Nourredine Saâdi, resté à son chevet jusqu'à son dernier souffle, nous apprend que le poète sera transféré à Oran aussitôt les démarches administratives réglées. Comme il l'a toujours souhaité, il sera inhumé à côté de son frère Abdelkader Alloula, l'homme de théâtre assassiné en 1994. "C'étaient des enfants qui se complétaient, ils avaient la même physionomie", raconte encore Amin Zaoui, qui dit les avoir fréquentés.
Malek Alloula était un admirateur de Denis Diderot sur lequel il a fait son sujet de thèse à la Sorbonne : "C'était un amoureux de ce philosophe des lumières, c'est même lui qui me l'a fait découvrir, et depuis je partage sa passion, explique son ami du temps de la fac d'Alger, Mohamed Lakhdar Maougal. A Paris, on se rencontrait boulevard Saint-Germain où il y a la statue de Diderot et on prenait des pots ensemble juste en face, c'était notre folie et notre époque."
"Ils sont tous en train de mourir ! Une certaine Algérie est en train de disparaître ! Le pays s'appauvrit ! Il se vide à tout jamais, s'alarme l'écrivain Boualem Sansal. Je ressens de la douleur, voilà que les Algériens, tous poussés à quitter le pays par un régime dictatorial, sont en train de quitter la vie." Maïssa Bey ajoute : "On ne l'a pas laissé être acteur dans sa société, comme d'autres de sa génération.
C'est pour ça qu'il a été obligé de quitter le pays. Si les jeunes ne le connaissent pas aujourd'hui, comme Assia Djebar ou d'autres écrivains, c'est parce qu'ils n'ont pas été intégrés dans les manuels scolaires." Elle souligne aussi son "nationalisme". "Nous avons travaillé ensemble sur un livre, Algérie 1951, un pays dans l'attente. Je me souviens de ses réactions et de sa sensibilité aux photos d'Etienne Sved." L'historien Mohamed Harbi, un de ses proches amis, témoigne : "C'était un ami, un grand monsieur et un écrivain qui aurait pu aller plus loin, n'étaient les vicissitudes de la vie, dont l'exil et l'assassinat de son frère qui l'ont fait souffrir et même freiné."
Il faisait donc partie de cette "génération sacrifiée par l'Algérie indépendante", selon Mohamed Lakhdar Maougal, cette génération qui "portait beaucoup d'espoir pour le pays post-révolution, mais aussitôt l'indépendance chèrement acquise, ces brillants de leur époque ont été déçus...
L'Algérie indépendante n'avait rien de ce qu'ils rêvaient, et même si on ne les a pas laissés émerger, ils ont continué à donner le meilleur d'eux-mêmes à leur patrie." Où en est donc la relève ? "On nous a mis tellement de bâtons dans les roues qu'on n'a même pas pu libérer les chemins pour les novices, regrette Maougal. La nouvelle génération a tout le temps pour s'exprimer et s'affirmer, et ensuite porter le flambeau."
Hanane Semane
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Un monde s'en va
Mots épars. Moments de détresse. Difficile de penser, de respirer. Les mots, la voix, le souffle manquent justement pour dire ce qui nous a liés. Malek Alloula. Poète. Cela suffit à peine. Erudit, cinéphile averti, amateur de peinture, c'est déjà plus proche de ce qu'il fut.
Et puis : "La fraternité des fines gueules", cette congrégation d'amateurs de bonne chère, souvenirs de son adolescence et qu'il recréa à Paris avec d'autres joyeux drilles, Nono Saadi, Mourad Bourboune, Abdelkader Djemaï...Un monde s'en va.
Discret aussi. Je retrouve un mail d'octobre 2008 au moment d'achever son recueil de nouvelles Le cri de Tarzan, où il me parle de la notice biographique qu'il aimerait voir figurer au dos du livre : "Pour la quatrième, je te laisse libre, sauf pour la notice bio qui doit être minimale, subliminaire, du genre : Malek Alloula vit et travaille à Paris.
J'adore cette formule qui est une sorte de monade leibnizienne". Exagérément discret, oui, mais un homme du mot, de la précision des mots. Je ne connais personne qui ait eu un tel rapport aux mots. Tellement scrupuleux, tellement exact, qu'il lui arrivait de renvoyer un mail car il y avait repéré une faute d'orthographe ou une formule inappropriée.
Que la poésie algérienne et maghrébine lui doive beaucoup, c'est certain. On le découvrira et on le comprendra très lentement parce que sa voix va à l'essentiel. Et qu'il demeurera dans l'ombre, c'est certain. Malheureux, mais certain.
Là où il est, je suis absolument certain enfin qu'il doit retoucher indéfiniment les derniers textes qu'il écrivait, à Berlin, une ville qu'il avait découverte et apprivoisée depuis 2011, une ville qui lui allait bien.
Ou bien doit-il relire un recueil de Mahmoud Darwich, revoir un vieux film américain ou réécouter une chanson de Blaoui Houari. En toute discrétion mais avec délectation. Adieu l'ami. Sofiane Hadjadj
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Le public qui a assisté, samedi dernier à l'IDRH, à la rencontre autour de l'œuvre de Malek Alloula a eu comme l'impression d'assister à la réparation d'une injustice, en l'occurrence cela a consisté à réhabiliter l'œuvre de cet écrivain oranais, hélas à ce jour encore méconnu dans sa propre ville.
L'idée même d'organiser cette rencontre s'est faite à l'occasion de la réédition de l'intégralité de l'œuvre de ce poète oranais par les éditions Barzakh, à Alger. Ont donc pris part à cette rencontre, en plus du principal intéressé, à savoir Malek Alloula, le directeur de l'IDRH, Mohamed Bahloul, ainsi le directeur des éditions Barzakh, Sofiane Benhadjaj. A la fois écrivain, poète, nouvelliste et essayiste, Malek Alloula s'est longuement penché sur son parcours, commençant par nous raconter son enfance à Aïn El Berd, en pleine "paysannerie", lieu où d'ailleurs, il a contracté "la fibre paysanne" qui a forgé sa sensibilité. A ce propos, afin de nous prouver qu'il revendique pleinement ses racines, il n'a pas manqué de tonner en pleine conférence, et en version dialectale qui plus est : "ana aroubi !" ... et fier de l'être, a-t-il ajouté avec humour. C'est donc dans un milieu tout à fait coupé de la culture citadine que s'est déroulé l'enfance de Malek.
Ce n'est que lors de l'adolescence qu'il s'installe, lui ainsi que toute sa famille, à Oran, plus précisément à M'din-Jdida. En 1956, à la suite de la grève des étudiants algériens, il participe avec son frère à cette action. Et il fallait attendre le recouvrement de l'indépendance de l'Algérie pour qu'il s'essaye enfin dans l'art de l'écriture. A cette époque, il faisait des piges pour le journal l'Echo d'Oran. Le président Ben Bella, à l'occasion d'une tournée nationale, se trouvait à Oran en compagnie du président malien Sekou Touré. Au cours de son intervention, le président algérien a annoncé la nationalisation des salles de cinéma, ainsi que l'interdiction sur l'ensemble du territoire algérien l'exercice du métier de cireur. D'où l'idée pour Malek Alloula d'écrire son premier poème, intitulé : "Petit cireur mon frère". Quelques semaines après, à la suite de sa rencontre avec Bachir Hadj Ali, qui se trouvait à Oran pour une vente-dédicace, il réussit à se faire une petite place à Alger Républicain, "je me suis alors senti investi d'une mission poétique", dit-il, non sans humour. Par ailleurs, durant son intervention, il n'a pas oublié de parler de son frère, le dramaturge Abdelkader Alloula. Il faut savoir qu'entre les deux frères, il n'y a qu'à peine vingt mois de différence d'âge. "Ce n'était pas seulement de la fraternité entre nous, c'était presque de la gémellité. J'étais son aîné de quelques mois à peine. Généralement, dans les familles, c'est le cadet qui est extraverti, et l'aîné l'introverti, ça a été le cas pour nous !". N'appartenant pas tout à fait à la même "obédience" politique, leur lecture, ipso facto, divergeait quelque peu. Cela dit, Malek Alloula a de tout temps reconnu en son frère un grand homme de culture, capable "d'ingurgiter" des livres à profusion. La conférence donnée samedi dernier a été donc axée sur trois points : l'écriture, la ville d'Oran, ainsi que Abdelkader. Sofiane Benhadjaj a précisé quant à lui que Malek Alloula n'a jamais été complètement méconnu en Algérie, puisque ses textes étaient disponibles, durant les années 80 aux éditions Sindbad, à un temps où le livre coûtait à peine 40DA. "Une autre époque!" n'a-t-il pas manqué d'ajouter avec regret. Aujourd'hui, pour ceux qui sont intéressés de découvrir, ou de redécouvrir l'oeuvre de Malek Alloula, il est à savoir que bons nombres de ses textes sont disponibles sur les étals, aux éditions Barzakh: "Villes et autres lieux" (poèmes); "Rêveurs/sépulture et mesure du vent" (poèmes); "Le cri de Tarzan, la nuit dans un village oranais" (nouvelles).
In : https://milianihadj.wordpress.com/2010/11/22
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