[Freaky Friday Parasite] Cupidon parasité

Publié le 20 février 2015 par Taupo
J'ai senti ton regard réprobateur, lecteur, quand ce lundi j'ai publié un billet croisé avec Wonderful Wife™ empli de mièvreries où nous vous racontions l'origine de cupidon et comment les biologistes s'en étaient inspirés pour nommer araignées, poissons et volatiles. Alors quoi? On devient propre sur SSAFT? Pas de parasites dégueu pour martyriser ces nobles animaux? C'est mal me connaitre! Rappelez-vous ce qui peut arriver ici au plus innocent et adorable des lapins

Or donc revenons-en au plus intrigant des cupidons du règle animal: le tétras des prairies, Tympanuchus cupido.

Cette fière pintade sous ecstasy ne se porte pas au mieux depuis plus d'un siècle et l'on note un fort déclin des effectifs de ces tétras dû à la chasse mais aussi la régression de son habitat, notamment dû à l'agriculture et le développement industriel des régions où ils paradent. …Cependant, l'étiolement de leur population n'est pas seulement imputable à l'humain, et c'est un parasite qui arrive à les achever sur le long terme. Un ver parasite qui vit… dans leurs yeux. Il s'agit d'un ver nématode répondant au nom d'Oxyspirura petrowi (allez-y, testez et appelez-le par son nom, il frétillera la queue avant de s'en retourner consommer goulument la cornée de son hôte…). Un petit portrait s'impose:


Oh ben ça va, c'est pas trop vilain, un si petit ver ça doit juste gratouiller l'œil… Bon d'une part, des spécimens d'Oxyspirura petrowi peuvent atteindre à maturité une taille de 20mm et d'autre part, ils vivent souvent en groupe, pouvant dépasser la dizaine de vers par œil. On ne connait pas encore en détail le cycle d'infection d'Oxyspirura petrowi, mais il est probable que son hôte intermédiaire, par lequel il peut parvenir aux tétras, soient des arthropodes comme des blattes ou des criquets, consommés par les oiseaux. Les vers vivraient à l'état de larves dans les insectes, se feraient becqueter (pour une fois qu'on peut utiliser le terme adéquat) par les oiseaux, et migreraient, via les cavités du sinus, vers un œil pour y loger et sucer le sang de la cornée et des paupières, dégustation qui s'accompagne de gonflement de l'œil et parfois de sévères hémorragies.


En plus d'être assez inesthétique et passablement irritant, la croissance des vers dans les yeux des oiseaux peut vite mener à une cécité partielle, ce qui a entrainé une multiplication d'incidents étranges dans les régions du Sud Ouest de l'Amérique, comme des Tétras percutant au vol et de plein fouet des véhicules, ou parfois… des granges!

Si ce ver parasite ne s'attaquait qu'à notre cher oiseau cupidon américain, il est fort probable que je n'en aurais jamais appris l'existence. Mais le bougre s'attaque également à d'autres piafs des plaines du Texas comme des faisans, des passereaux migratoires (par exemple le moqueur polyglotte ou le moqueur à bec courbe) ou encore les cailles sauvages. Et là, ça fâche le Texan! Les cailles (ou colins de virginie), c'est lui qui les bousille avec son shotgun ou son AK-47! Pas une saloperie de ver dégueu qui les achève en loucedé: l'Amérique, c'est d'abord des traditions! Du coup, de nombreux chasseurs texans commencent à documenter les occurrences de la présence de parasites dans les yeux des cailles qu'ils réussissent à dézinguer, ou les apportent à des experts pour réaliser une autopsie.




Comment chercher ces vers dans les yeux d'une caille, me demanderez-vous? Je vous répondrais d'abord que vous êtes sérieusement dégueulasse, mais que sinon il suffit de suivre les instructions de la technicienne de recherche Becky Ruzicka:


Traduction:
Comment chercher des vers d'yeux chez une caille.
Des recherches récentes au Ranch de recherche des cailles des Rolling Plains a confirmé une forte présence inhabituelle de vers parasites dans les yeux de colins de Virginie. On les appelle des vers d'yeux et sont connus sous le nom d'Oxyspirura petrowi. La plupart des cailles ont environ 5 vers par oiseau, mais certaines en possédaient 30 vers et plus. Dans cette vidéo, la technicienne de recherche Becky Ruzicka explique comment examiner une caille pour détecter la présence de vers d'yeux.
Des recherches récentes ont montré que 50% des cailles des Rolling Plains ont été infectées par des vers d'yeux. Des vers d'yeux ont aussi été trouvées dans d'autres oiseaux de gibiers comme les tétras ou les faisans. Même si une infection par des vers d'yeux n'est pas nécessairement la cause de la mort de certains de ces oiseaux, il entraine souvent un comportement d'irritation et de grattage de l'œil. Même si cela semble sans conséquence, il faut comprendre qu'un oiseau qui passe son temps à se gratter l'œil n'est plus attentif à la présence de prédateurs et peut en plus endommager son œil. Même si nous ne sommes pas sûr que ces vers causent le déclin dans la population des cailles, ce que nous savons c'est que les cailles vivent dans un milieu fait de nombreuses menaces et nous voulons qu'elles aient les meilleures chances de survie et de reproduction.
J'ai donc un oiseau qui a été tué par un chasseur. Chercher des vers d'yeux dans un oiseau que vous avez tiré est assez simple. Vous n'avez pas besoin d'un équipement particulier. J'ai ici une sonde de dissection mais vous pouvez utiliser une aiguille ou un trombone, et une paire de pinces.
Tout d'abord vous prenez l'oiseau et soulevez gentiment les paupière externes et regardez en dessous, tout autour du globe oculaire, des deux côtés. S'il y a des vers, vous en trouverez dans le fond et sur les côtés. Si vous n'en trouvez pas là, cherchez alors la membrane nictitante, qui est localisée vers l'avant de l'œil, le plus près du bec. Il s'agit de la troisième paupière translucide que possèdent les cailles. SI vous pouvez alors la soulever avec la sonde, il s'agit de l'endroit le plus probable où trouver un ver d'yeux. Si vous en trouvez-un, comme ici pour cet oiseau, ramenez-la vers le haut avec la sonde et la prendre avec vos pinces.
Il ne faut pas s'inquiéter de la contamination entre caille et humain car vous mangez essentiellement le blanc des cailles, et non les yeux.


Grâce à ces efforts de recherches, plusieurs universitaires texans ont pu travailler sur les vers et réussis à les cultiver en laboratoire pour étudier leur mode d'infection pour éventuellement tester des traitements sur les cailles. (Si vous vous demandez quelle est la recette du milieu de culture pour démarrer votre élevage d'Oxyspirura petrowi, sachez qu'il s'agit d'un mélange de blanc d'œuf et de solution saline… Ne me remerciez pas!).

On dirait pas comme ça, mais le projet cherchant à rétablir les populations de cailles dans les Rolling Plains du Texas a attiré une très forte attention de la population locale… et pas mal de pognon: plusieurs millions de dollars pour dire vrai! Rien qu'à entendre le ton grave du Pr. Kendall qui nous explique la situation, on pourrait croire qu'il s'agirait d'une affliction menaçant la vie de plusieurs millions de personnes (ah non, ça on s'en fout on dirait):

Traduction:
Les Rolling Plains du Texas de l'Ouest étaient souvent considérées comme l'une des dernières contrées pour chasser les colins de Virginie.
Quelque chose est arrivé à nos cailles! Et ça les a affecté d'une manière virulente et robuste, et elles pourraient peut -être jamais s'en remettre, on ne sait pas encore.
L'été 2010, les Rolling Plains avaient subi de bonnes pluies et les cailles étaient abondantes, mais quelques mois plus tard, au moment de la saison de la chasse… silence… pas de chant familier du colin de virginie. Les populations de gibiers ont pratiquement été décimées. Mais quel est le coupable derrière cette plaie qui continue d'affecter ces populations.
Il y avait de nombreuses spéculations, de théories, d'hypothèses sur ce qui se passait.
Ceci est probablement la plus grande étude de parasitisme jamais réalisée sur des cailles, en particulier dans les Rolling Plains du Texas de l'Ouest. C'est de la recherche révolutionnaire. Nous avons été commissionné de nous impliquer dans un large projet financé par la fondation de recherche sur les cailles des Rolling Plains pour implémenter un projet appelé Opération de déclin idiopathique. Des chercheurs ont ainsi travaillé sur des données accumulées sur 4 ans et concernant un territoire de 40 millions d'acres.
On travaille sur 43 communes différentes à traves l'Oklahoma et le Texas.
Les chercheurs de l'université de Texas ont fait une découverte extraordinaire.
Maintenant, après 4 ans de recherches, on a vu apparaitre un signal. Et ce signal est un parasite. Et c'est là que commence notre histoire.
L'histoire d'un envahisseur, qui pénètre le corps des oiseaux et se cache derrière leurs yeux. 
Ce parasite est connu sous le nom de ver d'yeux, Oxyspirura petrowi, un ver nématode parasite.
Les chercheurs ont découvert un taux de 50% de parasitisme parmi les oiseaux qu'ils ont capturés. Leur taille varie d'entre 8 à 15mm de long. Si on le rapportait à la taille d'un œil humain, cela donnerait un ver de la taille d'un cure dent.
Nous avons trouvé un nombre significatif de parasites ici, dans le Texas de l'Ouest. Ils rentrent dans l'œil, ils provoquent de inflammations, et nous pensons que les oiseaux ne peuvent pas voir, ni fuir les prédateurs.
Avec ce parasite, les populations se retrouvent piégés dans un cycle périlleux.
Quand l'infection a lieu, autrement dit, une caille consomme un criquet, le ver émerge alors dans le bec de la caille, là où se trouve le criquet initialement, migre en haut vers l'œil et en quelques semaines cela donne un adulte mature, produisant des œufs. C'est rapide à ce point.
Ces chercheurs de Texas Tech sont les premiers à avoir confirmé que cette infection peut avoir lieu en 3 semaines.
On a un ver parasite qui consomme du sang depuis la tête d'une caille: on a un problème!
Quand on a commencé à peler les couches de cet oignon, j'ai posé cette question difficile de la possibilité qu'un parasite se déplace si rapidement dans une population sur une région si grande. Et j'ai répondu à cette question: c'est oui!
Maintenant que ces chercheurs ont découvert le coupable, leur intention est de trouver un remède.
On a besoin d'un remède, on a besoin d'une stratégie pour les guérir. On est au début d'un large effort pour tenter de trouver une solution. On a rien pour l'instant qui est approuvé pour les cailles. On a rien pour l'instant qu'on peut prendre de nos étagères pour aller traiter les cailles. On doit le développer. Surtout pour des traitements de cette amplitude. On pense que ce sera nécessaire.

Alors que bon, vu qu'on est au Texas, pour gérer un tel problème, j'aurais plutôt penser qu'ils auraient fait appel à un vrai spécialiste…

Références:
Dunham, N. R. and R. J. Kendall (2014). "Evidence of Oxyspirura petrowi in migratory songbirds found in the rolling plains of West Texas, USA." J Wildl Dis 50(3): 711-712.
Dunham, N. R., S. T. Peper, C. E. Baxter and R. J. Kendall (2014). "The parasitic eyeworm Oxyspirura petrowi as a possible cause of decline in the threatened lesser prairie-chicken (Tympanuchus pallidicinctus)." PLoS One 9(9): e108244.
Dunham, N. R., L. A. Soliz, A. Brightman, D. Rollins, A. M. Fedynich and R. J. Kendall (2014). "Live Eyeworm (Oxyspirura Petrowi) Extraction, in-Vitro Culture, and Transfer for Experimental Studies." J Parasitol.
Dunham, N. R., L. A. Soliz, A. M. Fedynich, D. Rollins and R. J. Kendall (2014). "Evidence of an Oxyspirura petrowi epizootic in northern bobwhites (Colinus virginianus), Texas, USA." J Wildl Dis 50(3): 552-558.
McClure, H. Elliott. "The eyeworm, Oxyspirura petrowi, in Nebraska pheasants." The Journal of Wildlife Management (1949): 304-307.
Xiang, L., F. Guo, H. Zhang, L. LaCoste, D. Rollins, A. Bruno, A. M. Fedynich and G. Zhu (2013). "Gene discovery, evolutionary affinity and molecular detection of Oxyspirura petrowi, an eye worm parasite of game birds." BMC Microbiol 13: 233.

Lien:
Article Daily Parasite
Parasitipedia.net
Article Science Daily
Dr. Kendall