Voici un témoignage pioché dans les correspondances des instituteurs de l'Alliance Israélite Universelle, mandatés et installés au Maroc par cette organisation, pour l'enseignement de la jeunesse juive au Maroc, ici en 1936 et qui nous décrit l'état de l'enseignement traditionnel de l'hébreu au sein de la population juive.
Ces sources d'instituteurs, il faut savoir et nous le ressentons à la lecture de ces écrits, sont d'un parti pris. En effet ces derniers ne cachaient pas leur mépris pour toutes ces populations, juives ou arabes, ils les considéraient comme primitifs, qu'il fallait amener à la civilisation. N'oublions pas que ces gens étaient des européens qui avaient un regard colonial.
Cependant, l'avantage, ici est de disposer de chroniques de gens avertis et instruits, qui nous donnent des témoignages, que les interessés eux-mêmes n'ont pu nous laisser, ne sachant pour la plupart, ni lire, ni écrire.
Georges SEBAT
Exemple de Heder de l'enseignement traditionnel.
Dans les grandes villes, aussi bien que dans les plus petits villages qui possèdent une communauté Israélite, partout on retrouve la même forme moyenâgeuse de l’enseignement de l’hébreu, partout la même routine.
L’enfant en arrivant à l’école (6 ou 7 ans) sait plus ou moins lire l’hébreu, plutôt mal que bien. Où a-t-il appris le peu qu’il sait ?
A l’âge de 3 ou 4 ans, l’enfant, qui ne devrait à cet âge que jouer et s’amuser est envoyé par ses parents à la plus proche synagogue pour y apprendre l’hébreu.
Quelles sont les raisons principales qui poussent les parents qui, pour la plupart n’ont aucune influence, aucune autorité sur leurs enfants, aucun instinct pédagogique, sont heureux de se débarrasser d’une partie de leurs progéniture, et pour toute la journée (la majorité des enfants déjeunent à la synagogue même)
Comment se présentent le local, les conditions d’hygiène. Il n’y a pas à proprement parler, au Maroc, de grandes synagogues. Chaque ville possède plusieurs petites synagogues éparpillées par quartiers.
Ce sont très souvent de très modestes salles, trop petites même, avec de simples bancs conte les murs. Au milieu, une estrade surmontée d’un pupitre sur lequel se lit la prière du « Hazan » (Officiant). En face le « Hekhal », qui contient les rouleaux de la thora.
La synagogue n’est souvent éclairée et aérée que par une porte donnant sur une ruelle étroite et sombre.
C’est là du dimanche à Vendredi, et toute la journée, se presse en désordre une soixantaine det bien plus, d’enfants à l’aspect repoussant et dont certains auraient certainement plus gagné en restant à la maison auprès de leurs mamans.
Lorsque vous entrez dans une de ces synagogues, que ce soit à Casablanca ou à Marrakech vous êtes écœurés par la saleté repoussante de la salle et des enfants et indignés en face de cette profanation, d’un lieu saint par excellence, la synagogue.
L’atmosphère de la salle est faite d’air vicié&, et de relents de cuisine provenant des assiettes qi traînent sous les bancs, un peu partout, et qui contiennent les restes des déjeuners des enfants. (N’ai-je pas dit qu’à la plupart on envoie le déjeuner à la synagogue même)
Exemples de "Hedarim".
Arrivons maintenant au Rabbin, « ribbi » comme on l’appelle ici, et à son enseignement : de plus en plus désastreux.
Qui donc l’a jugé capable d’enseigner la sainte loi ? Personne.
Il s’est lui-même « sacré » rabbin et de ce fait demande aux parents de lui confier leurs enfants. Le « Ribbi » est souvent un pauvre : C’est l’argent versé par les parents tous le mois pour leurs enfants, qui lui permettent de subsister.
Empressons nous, de dire que la somme versée pour chaque enfant dépasse rarement 7 francs par mois et est en moyenne de 2 à 3 francs.
Les enfants vont à la synagogue dès 9 heures, à l’heure qui plait à leurs parents. Ils ne quittent la synagogue le soir, que vers 6 heures. Ils ont une récréation unique : celle de midi à une heure environ.
Tout le reste de la journée, vous les entendez, les uns assis sur les bancs, la plupart par terre, autour du rabbin, hurler à qui mieux mieux les versets de la thora, sous l’œil sévère du rabbin épiant la moindre défaillance de l’enfant.
Malheur à celui qui s’arrête, essoufflé, de lire : une pluie de coups s’abat sur lui, sur sa tête, sur son dos, sur ses bras, et ne s’arrêtera, que lorsque l’enfant meurtri par cette avalanche de coups se mettra à crier plus fort que tous les autres.
Cela explique pourquoi à leur arrivée à l’école, ils sont si peureux. Il suffit de les regarder pour les faire trembler de tous leurs membres.
Mais peu à peu, les premiers mois passés, ils sont mis en confiance, et sont parfaitement heureux l’école, qui comparée à la synagogue doit leur sembler une « terre promise ».
Regardez-les courir, jouer à leur aise pendant les récréations, l’air épanoui aspirant à pleins poumons l’air pur de la grande cour, de cet air dont ils étaient privés pendant des années passées à la synagogue. Mais ceci nous écarte un peu du sujet. Que connaissent les « ribbis » et comment enseignent-ils ?
Tout leur savoir est basé sur la mémoire. Ils vous réciteront une « peracha » ou plusieurs dans en mettre un mot.
Là s’arrête leur savoir.
En cela consiste leur méthode.
Comprennent-ils ce qu’ils disent ? Très peu.
Ils connaissent des traductions en arabe d’un morceau entier et n’expliqueront jamais à leurs élèves mot par mot, même pas phrase par phrase : ils en sont incapables.
A ces traductions en arabe, ils n’ajouteront ni ne retrancheront un mot. Elles ont été transmises ainsi de génération en génération, et ne sauraient être modifiées.
Voilà comment se présente l’enseignement de l’hébreu dans les synagogues ! Qu’en advient-il lorsque l’enfant quitte la synagogue pour l’école ?
Instituteurs et ses élèves . La punition traditionnelle.
Remarquons tout d’abord, que depuis que les enfants – la majorité des enfants- vont à l’école, la durée pendant laquelle ils fréquentent la synagogue devient plus brève (2 à 3 ans). En conséquence, on rencontre à l’école des enfants qui ont eu à peine le temps (en 2 ou 3 ans) d’apprendre leur alphabet hébreu.
Le comité central depuis quelques années s’intéresse particulièrement à l’enseignement de l’hébreu dans les écoles. Il le confie dorénavant et autant que possible à ses maîtres.
Pour ma part et avec les ¾ d’heure par jour dont je dispose, j’ai pu noter chez mes élèves des résultats appréciables.
Mais je suis persuadé que ces résultats seraient de beaucoup supérieurs, si les élèves avaient des livres de lecture hébraïque, pédagogiquement conçus.
Je ne suis pas de l’avis de ces maîtres qui emploient comme livres d’hébreu pour les élèves, les livres de prières ou le pentateuque par exemple.
Ceci équivaudrait à vouloir enseigner le français dans du Corneille ou du Voltaire par exemple.
L’enfant a pour apprendre le français un livre de lecture. Il a besoin, de même, si on tient dans le temps si limité dont on dispose arriver à quelque résultat – d’un livre hébreu de lecture adapté à son degré de connaissance de l’hébreu.
Espérons que le désir de l’Alliance de revigorer l’enseignement de l’hébreu dans ses écoles, devienne une réalité.
Nous verrons alors, les parents, confiants en l’école, quant à l’enseignement de l’hébreu, soustraire d’eux-mêmes leurs enfants à l’enseignement moyenâgeux des synagogues – écoles.
Mr David ALFASSI
Le 15 Décembre 1936