Purity Ring – Another Eternity

Publié le 20 février 2015 par Hartzine

Purity Ring, c’est cette frange entre l’adolescence et l’âge adulte, cette dualité éphémère qui mêle projections post-pubères et considérations matures, entre fantasme et concret, à l’image de cet anneau de pureté, ou bague de virginité, au symbolisme suranné, mensonge puritain à la morale dévoyée par un discours bipolaire. C’est peut-être de cette façon qu’il faut aborder leur LP Another Eternity qui sort le 3 mars prochain via 4AD, car il est difficile de se faire une opinion rapide de cet album tant il l’est, bipolaire, et c’est révélateur de la façon dont le duo fonctionne, entre Halifax et Montréal, Corin Roddick envoyant ses instrus à Megan James qui les complète de ses lyrics, sans véritable concertation, sans dénominateur commun affirmé. Cette répartition fordienne des tâches provoque une émulsion qui offre à la musicalité du tandem une richesse caractéristique et dichotomique, une empreinte mélodique qui mêle les genres et styles, entre synthpop et witchhouse, dans un grand écart sémantique auquel la voix de Megan offre une cohérence fragile. Et c’est sans doute cette cohérence trop discrète qui nous vaut cet album pour moitié maniaque et pour moitié dépressif, dont la binarité transpire dans les deux singles sortis à quelques semaines d’intervalle, Begin Again et Push Pull.

Phase maniaque. Les quatre premiers titres posent un lyrisme surfait, presque hors de propos, dont on ne trouvait que quelques indices inoffensifs dans Shrines, leur précedent album sorti en 2012. La candeur sombre de Megan est tellement exacerbée qu’on a parfois l’impression de tomber dans une mièvrerie singulièrement appuyée, dans Bodyache par exemple, par des vocalises qui cherchent une complexité superflue et assez déconcertante, au point qu’on se croirait dans la phase beta d’un nouveau positionnement. C’est grave docteur? Le background emprunté au trap et au dubstep est pourtant globalement là, mais une ligne mélodique comme celle de Heartsigh nous plonge dans un clip de teenagers en slip coton, les cheveux au vent dans leur campus californien rempli de cheerleaders levant leur jupe au ralenti, et le chant n’est sauvé de justesse de la signature chez Universal que par la qualité des lyrics de Megan, dont la finesse et les césures confinent par moments à la poésie.

Phase dépressive. Stranger Than Earth opère le virage attendu. On arrête le trop plein de fioritures pop pour se concentrer sur ce qui fait la valeur de Purity Ring: ce mélange complexe et séduisant de textures, de rythmiques et de chants fluets. La structure est basique, minimaliste, se développe sur un arrière-plan clubbing étouffé entrecoupé de montées eurodance qui donnent envie de rouler des pelles à la première gabber, l’atmosphère est plus instrumentale et sombre, la voix plus taciturne sans perdre sa mélodie, et à deux minutes on attaque du solide à coup d’accords plus stressants gonflés de réverb et appuyés par un beat qui ne fait pas de cadeau. Putain ils nous avaient manqué Purity Ring, et ça donne envie de se sentir une certaine indulgence sur le traitement des premiers morceaux et de tout réécouter, comme le rabâche Begin Again, ballade électro désenchantée et chagrine sur fond de considérations cosmiques aussi douce que puissante sur ses accents witch. Purity Ring, c’est avant tout un jeu de filtres, en témoignent les circonvolutions sonores de Dust Hymn et la voix fortement pitchée de Megan, un placebo qui ne tempère que timidement les crises cyclothymiques du binôme à l’ambivalence complètement assumée, fondue dans un mood qui oscille entre univers preppy poppy et obscurité stylisée. Même la douceur de Stillness In Woe, le morceau de conclusion, revêt une profondeur à la mélancolie suave. C’est le clonazépam de l’album, la terminaison de la phase maniaque, qui engourdit et apaise, s’achevant sur une réverb et quelques accords étirés sur près d’une minute pour mieux endormir notre vigilance avant la prochaine écoute. Gare à la dépendance.

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