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Hier, la marche organisée par l'opposition pour réclamer que toute la lumière soit faite sur la mort du procureur Nisman, il y a un mois, a rencontré un vif succès à travers toute l'Argentine. On estime à près d'un demi-million les manifestants à Buenos Aires (malgré une pluie diluvienne comme l'été portègne en a le secret) et à 15 000 ceux qui se sont rassemblés au pied du Monument à l'Hymne national, à Rosario, la seconde ville du pays, alors que beaucoup de gens sont en vacances. A La Plata, le défilé s'étirait sur un kilomètre (10 cuadras comme disent les Argentins). Il y a aussi eu des marches ou des rassemblements importants à Santa Fe et à Córdoba.Marches silencieuses, sans pancarte militante, sans insulte proférée contre le gouvernement sur les différents parcours (il en est allé un peu autrement sur les réseaux sociaux). L'ex-épouse du défunt procureur, elle-même juge de profession, s'est jointe au cortège dans la capitale fédérale, avec leurs deux filles mineures et son ex-belle-mère. D'après certains observateurs, c'est leur présence à toutes les quatre qui aurait donné à la marche la solennité, la gravité et la retenue qu'on a pu observer et qui est pour le moins exceptionnelle en Argentine, surtout en période électorale. Il est vrai que l'ex-épouse a exigé vendredi dernier, dans une conférence de presse de l'opposition au Congrès, que l'opposition et les médias cessent de politiser le dossier judiciaire que cette politisation immédiate a sensiblement pollué au point que l'enquête est entravée par les nombreux dysfonctionnements de la procédure criminelle en cours.
Derrière la famille s'avançaient plusieurs carrés de personnalités, organisés sur le modèle de la marche parisienne du 11 janvier : il y avait le carré des juges au plus près de la famille, celui des représentants des institutions juives ainsi qu'un carré de responsables politiques de l'opposition tous plus ou moins candidats déclarés à l'élection présidentielle d'octobre, comme Mauricio Macri (droite libérale issue du monde des affaires), Sergio Massa (Frente Renovador), Hermés Binner (socialiste), Julio Cobos (radical, ex-vice-président de Cristina Kirchner pendant son premier mandat), etc. Aucun membre de la majorité n'a pris part à cette marche qui s'annonçait surtout jusqu'au début de cette semaine comme une manifestation explicitement organisée contre le Gouvernement en place.
Depuis vendredi, pendant ces quatre jours fériés qu'on appelle en Argentine vacances de carnaval qu'elle a prolongées avec le mercredi des cendres hier, la Présidente est restée dans l'intérieur du pays où elle a fait plusieurs déclarations vigoureuses pour affirmer que personne ne la détournerait de son chemin. C'est son côté va-t-en guerre qui la dessert si souvent car il accentue les fractures politiques à l'intérieur du pays au lieu de faciliter la conciliation et le rassemblement (1).
Ce matin, les journaux consacrent près de la moitié de leurs articles en ligne à cet événement. La rédaction de Página/12 se montre quelque peu désarçonnée et même vaguement dépitée de la dignité avec laquelle il s'est tenu (son rôle eût été plus facile si l'opposition avait manifesté son agressivité habituelle sur les parcours).
Trois journaux prennent le temps d'écrire sur l'invitation que le groupe parlementaire FpV (Frente para la Victoria, le parti kirchneriste) a adressée au procureur Pollicita à venir exposer sa démarche judiciaire au Congrès lundi prochain (l'audition sera ouverte au public et pourrait être retransmise en direct sur l'un ou l'autre canal national). Ce procureur vient en effet de lancer une information préliminaire contre la Présidente et divers membres du gouvernement qu'il accuse d'avoir voulu soustraire à la justice les auteurs (iraniens) présumés de l'attentat contre l'AMIA en juillet 1994 (voir mon article du 14 février 2015). Ces quotidiens sont Página/12, La Nación et La Prensa.
Clarín a choisi une plongée sur Plaza de Mayo vue de Avenida de Mayo
(la silhouette du Cabildo est reconnaissable à droite. Derrière, on aperçoit le débouché de la rue Bolívar)
Et presque tous rendent compte d'une brève conversation hier au Vatican, au cours de l'Audience générale, d'une délégation des victimes de l'AMIA avec le Pape pour lui demander d'intervenir auprès de l'Iran (dont François a reçu il y a quelques jours la vice-présidente de la République avec toute une délégation féminine) et d'Israël pour faire la lumière sur l'attentat de 1994. Auprès de l'Iran pour que ce pays livre à la justice argentine ceux de ses ressortissants qu'elle veut entendre dans le cadre de l'instruction et auprès d'Israël dont un ambassadeur en Argentine avait un jour laissé entendre, sans la révéler, qu'il connaissait l'identité des terroristes. Sergio Burstein, le chef de cette petite délégation de trois personnes (2), a tenu par la suite une conférence de presse à l'ambassade argentine près le Saint-Siège, comme c'est désormais la coutume, pour dire qu'il espérait qu'un appel au Pape calme les tensions et les divisions civiles qui menacent en ce moment l'Argentine démocratique. Les quotidiens qui en rendent compte ce matin sont Página/12 (par la plume de sa correspondante Elena Llorente), Clarín et La Prensa. La Nación, quant à elle, a publié son article en ligne dès hier, dès qu'elle l'a reçu de sa correspondante à Rome, Elisabetta Piqué (que les lecteurs de ce blog commencent à bien connaître). Le titre de ce premier article sur cet entretien est pour le moins perfide (mais personne ne peut en rendre la journaliste responsable : ce ne sont pas toujours les auteurs des articles qui les titrent, surtout à 11 000 km de distance).
Pour aller plus loin sur la marche elle-même : lire l'article de une de Página/12 lire l'article de une de Clarín lire l'article de une de La Nación lire l'article de une de La Prensa. Pour le reste, vous pouvez naviguer dans les sites Web de ces journaux à partir des liens ci-dessus ou vous rendre directement sur leur page d'accueil : un lien permanent avec chaque grand titre de la presse nationale, argentine et uruguayenne, est disponible dans la rubrique Actu de la Colonne de droite (partie inférieure, où j'ai rassemblé les liens vers des sites tiers).
(1) A sa décharge, depuis huit ans qu'elle est à la tête de l'Argentine, elle a eu plus que son compte d'avanies, de médisances et d'insultes, non pas tant pour sa politique que pour le seul fait qu'elle est une femme. Ce genre de harcèlement n'a jamais aidé à développer le tact et la diplomatie chez personne. (2) Ils étaient trois pour représenter la Asociación 18J Sobrevivientes, Familiares y Amigos de las Víctimas del Atentado a la AMIA (association 18 juillet - Survivants, parents et amis des victimes de l'attentat contre l'Amia), une association tranquille qui ne veut pas entrer dans les jeux parfois pervers des institutions confessionnelles et qui s'est portée partie civile dans l'interminable procédure judiciaire qui dure maintenant depuis plus de vingt ans.